VLP (VIVE LA PEINTURE)

VLP (Vive La Peinture )

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 Jean Gabaret et Michel Espagnon

VLP, miracle d’un groupe qui n’est  le résultat  ni d’une synthèse,  ni d’une fusion,  ni même  d’un amalgame, mais   tout simplement un Etre nouveau, non prémédité, sans égal et sans antécédent.

Etrange créature qui devient pour ces peintres l’instrument d’une universelle magie à l’image du miroir dont parle Merleau-Ponty « qui change les choses en spectacles, les spectacles en choses, moi en autrui et autrui en moi. » (Merleau-Ponty, L’Oeil et l’Esprit, Ed.Gallimard, 1964 p.34)

Certes on  aurait pu craindre pour les membres de ce  collectif    un quelconque empiétement   sur leur personnalité ou  leur art d’autant plus que ceux-ci se présentaient légitimement comme des êtres libres « sans chef ni leader » (VLP, Ed. Critères, 2003).

En réalité  il n’y avait aucune inquiétude à avoir puisque  VLP  résulte d’un acte consenti de plein gré et  nullement  d’un renoncement de quelque nature que soit.

Mieux encore,  comme par effet de levier, VLP va développer de manière plus efficace  leur propre personnalité et leur capacité créative.

C’est un concept puissant et novateur : peindre à plusieurs, dans le regard de Mai 68, avec l’idée des collectifs qui poussent le peintre  vers le monde. Il n’est plus tout seul et doit s’affranchir de son côté nombriliste. Substituer la synergie du groupe à l'ego de l'artiste voici le slogan que ne cessent de marteler les membres fondateurs!

De fait très vite,   comme sous l’effet d’un ineffable mystère, l’histoire de ces peintres  va se métamorphoser   et  devenir celle de VLP  qui n’a cessé, depuis  les années 1980,  de crier sa rage de peindre.

Plus surprenant encore  et hautement symbolique, c’est   le lieu même où prit naissance le groupe et  qui contribue à donner à l’événement un sens  quasiment  hiérophanique. Tout a débuté  dans le ventre de Paris, plus exactement dans les catacombes,   comme pour réitérer dans cette étrange « caverne » les premiers gestes mythiques de la création.

Renouvelant en quelque sorte  la quête   des  sociétés traditionnelles dans leur besoin de trouver en permanence le « Centre du monde »,  ces peintres  répètent un acte qui a une portée  cosmogonique.

« Aucun monde ne peut vivre dans le « chaos » de l’homogénéité et de la relativité de l’espace profane » (Mircéa Eliade « Le sacré et le profane », 1957, Gallimard, Folio/Essais, p.26)

Ainsi selon ce même auteur, la découverte d’un centre équivaut à la création du Monde et d’un espace sacré.

Cette nécropole parisienne   devient par conséquent le « Centre du monde » et le lieu magique où ces artistes vont pouvoir créer leur propre « monde ».

Mais un tel  réseau souterrain,  carrefour des Morts,    fut aussi   pour  les    fondateurs de ce  collectif (Michel Espagnon et Jean Gabaret)  un espace unique  de ressourcement.

L’occasion rêvée    de désapprendre tout  ce qu’ils avaient appris aux Ecoles d’Art et de  vivre pleinement (et autrement) leur nouvelle vie de peintre grâce à VLP  comme une   seconde naissance.

Car avant de devenir un concept unique, « Vive La Peinture » (V.L.P.) n’était  qu’un slogan pour retrouver l’énergie, l’authenticité et tourner en dérision une certaine peinture   qui dégoulinait.

VLP se définit aussi  comme un groupe rock pour  casser les codes de la peinture traditionnelle. Quitter l’atelier, aller dans les catacombes, dans des clubs et travailler en groupe pour rendre la peinture plus vivante et signifier  qu’elle existe vraiment.

C’est d’ailleurs grâce aux fêtes rock organisées dans les catacombes que tout a démarré.

« Dans les fêtes rock, nous pratiquons des peintures performances dans une complète improvisation. Pour le plaisir, sans signature. Quelques temps après, Actuel, puis l’Echo des Savanes ont fait des articles sur des peintres anonymes. Alors nous sommes revenus dans les catacombes pour signer Vive La Peinture, qui en abréviation devient bientôt VLP. » (ibid.)

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Après l’underground, VLP s’invite à l’extérieur dans une nouvelle aventure sur les palissades.  Ce sera notamment en 1984 un lieu mythique pour la performance (voir ci-dessus) : l’Espace Diagonale d’Eugedio Alvaro à Montparnasse.

Ce personnage qui court le long de cette palissade, une guitare à la main, est la signature d’une adhésion enthousiaste  au mouvement graffiti.

Les deux artistes sortent d’une formation académique et veulent selon leur propre expression « chausser les bottes de l’aventure » et échanger notamment leurs tubes de couleur pour des bombes aérosol.

Bref, on ressent derrière cette création, un sens fédérateur, un besoin fort  d’appartenir à une communauté. Au-delà même de la peinture, il y a cet amour véhiculé par elle  qui pousse à une fraternisation entre artistes : rassembler la mouvance graffitiste et d’autres « sauvages » comme eux.

C’est dans cet esprit que VLP  organisa le premier festival des graffitistes et des fresquistes à Bondy en 1984.

Par ailleurs  le caractère très athlétique et dynamique de la représentation de cette palissade dénote  une inspiration qui est issue d’une contestation culturelle (l’esprit de la contre-culture), sur fond de musique  rock et du mouvement pop.

Parfois cette performance prend aussi  l’allure d’une célébration de l’offrande, l’art inauguré par VLP veut favoriser des moments de communion  avec le public, une occasion également  de faire   le pied de nez au mercantilisme ambiant.

Ainsi pour clore l’événement, cette palissade et d’autres  sont souvent   débitées à la tronçonneuse. « Les morceaux sont emballés dans des sacs de congélation, tamponnés VLP et distribués au public. Cela s’appelle “le sacrifice du sauvage” » (le site officiel : http://vivelapeinture.free.fr/).

L’originalité de VLP c’est aussi de faire transiter l’art comme un véhicule qui ferait remonter à la surface des vérités cachées. Dans l’esprit de la peinture de Keith Haring qui était aussi résolument funky « c’est-à-dire remontant aux pulsions sexuelles et aux rythmes de la jungle » (Keith Haring, Musée d’art contemporain de Lyon, 2008, Skira, p.109)

Ainsi à la manière de la maïeutique, VLP expérimente une méthode qui permet de faire sourdre à la surface les grands thèmes de l’imaginaire et de l’inconscient collectifs.

Curieusement cette période coïncide  à celle où le groupe sort de l’underground et donc symboliquement s’assimiler à une sorte d’accouchement. A l’évidence l’inconscient est la partie la plus  mystérieuse de notre psyché.

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Palissade musée d’Art Moderne (détail), Paris.

L’idée d’une peinture sauvage, proche de l’homme des cavernes ou des  sociétés tribales est enracinée au plus profond de notre être. Le but de VLP est de l’exprimer au grand jour comme une richesse de  portée universelle puisqu’elle parle toujours à l’homme contemporain.

Proches des créations d’un certain Dubuffet, ce sont des peintures qui sont une manière d’exorcisme. VLP invente un art inculte, primitif, manière de tourner le dos à l’époque.

Paulhan écrivait dans la NRF « que l’homme vaut par ce qu’il a de naturel, d’immédiat, de naïf, plutôt que par ce qu’il acquiert… ».

La texture des personnages de la Palissade du musée d’Art Moderne (voir ci-dessus) devient parfois aussi importante que leur silhouette : toujours cet amour affiché pour la matière picturale !

Ainsi VLP nous donne à voir  une œuvre épaisse, lourdement chargée de cette pâte rouge violacée  et avec en plus cette frénésie d’une danse folle qui transcende les deux personnages.

Ceux-ci avec leur chevelure hirsute, leur corps en transe, impriment un rythme effréné à cette représentation.

L’importance du mouvement en peinture avait déjà été souligné chez Keith Haring, car selon lui : « le mouvement [peut-être perçu] comme peinture et la peinture comme mouvement ». Ainsi le fait que les personnages représentés par VLP soient souvent en mouvement est donc très significatif  d’un style de peinture proche de cet artiste américain.

(A titre anecdotique en  1986, les membres du collectif vont partir à New York et   rencontrer   Keith Haring lui-même dans son antre « Pop Shop ».)

Revenant toujours  à la peinture de la palissade, tout semble corroborer ici l’expression artistique évoquée par Engels : «  le mouvement est le mode d’existence de la matière. »

En plus d’une danse tribale, on découvre également à gauche de la composition  le motif graphique de l’homme aux bras levés.

Cette position n’est pas anodine car Mircéa Elliade nous dit lorsque le chamane adopte cette même position pendant les cérémonies, il exclame : « J’ai atteint le ciel. Je suis immortel ».

C’est pourquoi VLP nous révèle, toujours tirée de  l’inconscient collectif, cette pulsion ancestrale  vers l’immortalité. Tout cela prouve à l’évidence la profondeur de la pensée qui sous-tend  l’œuvre.

Par la suite dans la foulée des palissades, VLP va pouvoir  diversifier son champ d’action et diffuser son art en tous lieux.

Mais dans la fin des années 80  c’est également la période du Sida et une période d’une grande morosité. Aussi comme pour conjurer le sort,   VLP réalisera également  des performances  en discothèques (La Loco, Le Rex).

Sur le ton de l’humour  une question formulée par le groupe   résume à elle seule  toute cette période : l’avenir de la peinture passerait-elle par l’électrification des pinceaux ?

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Série Zodiac « OVNI » (détail), 1988, laque, toile 200x200 cm

« OVNI » est le résultat d’une sorte d’énergie primale favorisée par tous ces lieux « électriques » que le groupe VLP  fréquentait à cette époque.

On assiste à un style particulier qui tend comme dans ce détail de l’œuvre à une forme d’abstraction.

Le graphisme se libère, nerveux, vif se rapprochant parfois de celui tourmenté d’Alechinsky.

Indéniablement il existe cette « rage de peindre » dans la violence de l’acte pictural : une attaque de la forme contre tout ce qui peut ressembler à un art perfectionniste, esthétique.

Dans la mouvance de Cobra, c’est la fureur enragée du pinceau qui conduit à toutes ces explosions chromatiques et formelles. Une pluie de météorites ou d’étincelles  bleues, jaunes, rouges et vertes   jaillissent et crépitent de toutes parts comme sous l’effet d’un embrassement ou d’une éruption volcanique.

A l’évidence VLP reste toujours attaché à une certaine figuration. Ainsi le monde qu’il nous décrit prend l’aspect de figures imaginées et presque irréelles (un chien, une forme humaine…).

Les niveaux de réalité sont décalés : le monde visible devient irréel, c’est une réalité derrière les choses. C’est le monde onirique, loin de tout raisonnement scientifique, c’est un autre monde d’où le titre même de l’œuvre : OVNI !

Mais VLP veut libérer la ligne et aspire à repousser très loin  les limites. Le résultat est alors  étonnant.

Un réseau de lignes trame l’espace et donne une luminosité éclatante à l’œuvre. C’est en quelque sorte la « puissance de métamorphose » dont parlait Bachelard.

De cela il découle une transfiguration de l’instant poétique en espace onirique et  selon l’expression de  Dotremont une œuvre qui « va des mains aux yeux, et des yeux à tout l’esprit ».

VLP va ensuite se produire beaucoup en Allemagne où les expos et les perfos vont se succéder à un rythme très soutenu.

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« Hip Hop », 1990, 209x209 cm, laque, toile libre

Cette peinture « sauvage » intitulée « Hip Hop » fait penser bien évidemment à Van Gogh par le jeu des lignes nerveuses et flamboyantes, le travail des couleurs s’intégrant  dans une facture endiablée allant jusqu’à une certaine brutalité. Mais ici beaucoup d’autres peintres prestigieux  sont également  convoqués grâce à cette peinture riche et expressive.

Parmi eux, il ne faudrait pas oublier  le barbarisme et l’exotisme d’un Gauguin.

Bien entendu les formes agitées et expressives renvoient au mouvement perpétuel et jamais apaisé du Hip Hop. Cette danse très athlétique  donne le tournis  et une  réelle frénésie avec  les paroles du rap scandées de façon rapide et saccadée.

A la suite de Van Gogh et de Gauguin, il y a aussi le fauvisme très présent dans cette œuvre, Matisse en particulier.

Le visage  que l’on découvre est le résultat d’une mosaïque de couleurs et de touches savamment orchestrées. On pense aussi à Seurat mais également à l’esprit constructeur de Cézanne, que les critiques de l’époque  qualifiaient ironiquement sa peinture  de peinture  à la « truelle » !

C’est pourquoi   le cubisme de Picasso n’est pas loin non plus. Ce personnage avec ses arcades sourcilières proéminentes pourrait parfaitement intégrer le panthéon des visages picassiens.

Les décompositions pointillistes et synthétiques de l’œuvre donnent naissance à un style d’une gaieté flamboyante.

Il y a un goût du solide, de l’étude et d’un certain équilibre proche d’une composition  classique malgré le déchaînement débridé des couleurs (voir aussi Derain).

A l’évidence dans cette œuvre, VLP développe comme pour l’ensemble de son parcours créatif l’un de ses thèmes favoris : brasser culture-rock  et histoire de l’art.

Selon les  déclarations des membres de VLP, l’art sauvera ce siècle et notamment par la peinture, c’est leur hymne d’espoir.

Michel Espagnon et Jean Gabaret  ne s’affirment pas comme des illustrateurs mais uniquement et simplement comme  des peintres. A ce titre  ils veulent rester au cœur de ce métier. C’est le média le plus immédiat et le plus porteur  dont ils disposent (la peinture) et  qui pourra, mieux que quiconque, remettre l’humain au centre ! 

C’est dans cet esprit,  au tournant du millénaire, que  VLP va subir une mutation majeure. Il va prendre un nouveau visage, celui de ZUMAN. 

Selon ses créateurs : « Ce profil, créé par ordinateur à la base d’une collecte de photos, est soumis par les artistes à toutes sortes de variations chromatiques et formelles. Sculpté,  photocopié ou peint sur toiles ou pancartes, Zuman se promène à travers la ville et donne lieu à une gamme d'actions urbaines entièrement neuves, où l'art prend des allures de défilé politique. 

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Il est reproduit sur des affiches et collées dans la rue. Cette action s’appelle l’Arting.

Ce profil est composé de cases avec des images figuratives ou abstraites. Il est accompagné d’un slogan poético-ironique, une légende en somme qui accompagne cette tête décapitée (du corps social) pour dédramatiser son aspect. » (Site web précité)

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La tête pixélisée de ZUMAN est en réalité celle de l’être humain qui possède des enrichissements sans fin. C’est la raison pour laquelle ZUMAN demeure un concept sans limite  comme d’ailleurs   la couleur, les pastilles de teintes différentes venant  le rappeler de manière cocasse dans cette œuvre.

ZUMAN devient la figure anthropomorphe de VLP, véritable langage visuel issu de la BD ou d’un symbole totémique.

Ce faisant il contribue à créer une réalité propre en occupant la zone urbaine et la transformer  en ZUTOPIA.

ZUMAN devenant ensuite  ZUMAN KOJITO prend progressivement une forme humaine complète : un personnage en pied de 2,10 m de haut. On le colle un peu  partout  et on lui fait dire des phrases minimales souvent poétiques du genre : « Sculpter ses idées avec ses poings », « Est-ce que je suis un ready made ? », « Bousculer l’incertitude »… !

ZUMAN fait partie des totems de notre nouveau millénaire dont les visages sont devenus  nos logos iconiques comme celui du « Radiant Baby » de K.Haring.

Mais ici  bien plus qu’un logo ou qu’une enseigne,  ZUMAN est un être qui vit !

Par ses actions de rue, il rend compte du mal être de notre société et du cauchemar kafkaïen qui nous étreint.

Par conséquent au-delà de l’expression d’une émotion, la peinture de VLP permet l’audacieux projet  d’ « accomplir le miracle de transformer les émotions en mots, les mots en pensées et les pensées en images » (K.Haring, ibid. p.55) et au final l’image (de ZUMAN) en un véritable corps opérant !

Et  grâce à cette étonnante transsubstantiation c’est le monde dans son entier  qu’on a la prétention de transformer puisque selon la célèbre formule de Merleau-Ponty : « C’est en prêtant son corps au monde que le peintre change le monde en peinture ».


Christian Schmitt, le 6 novembre 2011.

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