AUREL,magicien du mouvement

Aurel, magicien du mouvement.

 

 

 

Déjà au lycée ce jeune mosellan avait été remarqué par sa professeure d’arts plastiques pour son coup de crayon et son imagination débordante. Sa voie semblait alors toute tracée vers une école d’art !

Mais à cette époque il n'était encore qu’un adolescent dans le doute et la crainte de ne pas être à la hauteur. C'est pourquoi Il décida finalement de s’orienter vers une école d’infographie au lieu d’une école proprement artistique.

Ce sera un lycée en Alsace où les débuts vont s’avérer difficiles pour lui. Ce nouveau venu ne connaissait rien en infographie alors qu’il se considérait déjà comme un plasticien… Pourtant au bout de deux ans, il décroche un bac pro en production graphique.

Parallèlement, il approfondit le dessin et s’intéresse activement au graffiti. A 20 ans, il semble avoir trouvé sa voie dans le milieu du Street, le collectif Panda world l’intéresse et l’inspire graphiquement.

Il choisit une démarche personnelle grâce à son animal fétiche, le Panda. Il justifie ce choix parce que selon lui : « le panda était l’animal qu’on peut facilement détourner graphiquement et grâce aussi au regard des gens qui le voient comme un nounours mignon et qui vont donc vite se l’approprier.

Il est donc devenu mon personnage que j’accommode avec mes designs très fins. Le fait d’avoir son style perso, on se sent plus à l’aise dans son art, on peut évoluer

Par la suite au gré des rencontres et des expositions, Aurel fait la connaissance de nouveaux supports, les sculptures de récupération de Fab Delaunay l’inspirent et Raphaël Seretti, sculpteur monumentaliste lui enseigne les débuts du travail de la terre. Il peut désormais fabriquer ses propres personnages.

Mais quelque chose de plus fort l’attire encore : ce sera l’installation, l’éphémère et c’est pourquoi dit-il « je réalise les graff sur papier dans la rue afin de laisser aucune trace permanente, tout l’inverse de la bombe. La rue change ma façon de créer car je dessine en fonction du support, c’est celui qui va me permettre d’imaginer la suite… »

De même parmi ses autres expériences, le body-painting (peinture corporelle) va lui permettre de relier illustrations et photos.

 

 

Ainsi compte tenu des évolutions qui ont marqué son parcours créatif, comment peut-on définir son propre style ?

- Un style très proche de la BD :

 

« Panda World » 2010.

Les personnages (les pandas, les lapins…) sont le plus souvent stylisés, soulignés par des traits. Des flèches dans tous les sens ainsi que d’autres signes qui gravitent autour de ces animaux fétiches dans le but d'indiquer le mouvement et accentuer la proximité avec la bande dessinée (BD).

Un graphisme « enfantin » ? Mais ce même reproche fut adressé à l’époque à Keith Haring lorsqu’il créa son bébé radiant, le chien qui court… !

Ce faisant en utilisant un graphisme visuel simple et facilement identifiable, l’artiste réussit à mieux communiquer avec les autres. Notamment le jeune public avec lequel il peut facilement attirer l’attention en restituant le rythme frénétique de notre temps. D’où l’importance du mouvement et de l’exubérance visuelle qu’il insuffle dans ses œuvres.

Avec Panda World, il reproduit son monde qui est aussi celui de ses semblables, ceux de sa génération et tous ceux qui vivent dans ce début du XXI° s.

L’artiste calligraphie l’espace par une danse fiévreuse, follement endiablée avec l’outrance de ses créatures qui s’agitent comme dans un bocal.

Comme enfiévré du trait, Aurel restitue des pulsions inouïes.

Tout est ici jouissif, jubilatoire mais cette folie douce cache aussi une peur inavouée que l’on devine dans le regard dessillé de certains personnages.

Cette représentation sous le mode d’un cartoon fait surgir un univers qui est loin d’être enfantin ou naïf. Il exprime la vision d’un jeune adulte qui pose un regard lucide et non complaisant sur son environnement.

Le monde qu’il nous donne à voir n’est pas nécessairement le monde des bisounours !

  

- Une forme hybride entre peinture-écriture:

Déjà chez les peintres du début du XX°s., l’influence décisive de l’Afrique, de l’Océanie et des Amériques sur la transformation des formes et des langages occidentaux n’est plus à prouver.

Les jeunes créateurs du Street Art n’ont fait que continuer ce travail d’imprégnation des cultures étrangères en utilisant aussi bien les hiéroglyphes égyptiens que les pictogrammes mayas ou des Indiens d’Amérique du Sud.

Tout cela aboutit chez Aurel à une syntaxe de signes qui parcourt en permanence son œuvre conduisant à une forme hybride entre peinture-écriture. Bref une forme visuelle empruntant beaucoup de symboles totémiques.

 

« Art2rue » 2010.

Cet art totémique devient aussi et avant tout l’art de la rue comme le stigmatise cette œuvre.

L’artiste retrouve des formes primaires voire primitives comme pour créer une réalité propre, un idiome facilement compréhensible.

Il crée sous nos yeux une machine à recycler (les déchets de notre société ?) à l’image de celle des Temps Modernes d’un certain Charlie Chaplin. Le côté effrayant et destructeur de cet engin est atténué par son aspect ludique comme s’il s’agissait d’un jouet pour enfants. Mais aussi grâce à l'écriture picturale du jeune créateur, celle-ci introduit la poésie des formes par l’élégance et la finesse du trait.

Moins frénétique, le signe se détend comme une respiration qui se fait plus ample.

La représentation de l’objet mécanique s’efface devant la transformation de « l’instant poétique » comparable à cette « puissance de métamorphose » dont parlait Bachelard à propos d’une œuvre de Pierre Alechinsky.

Ou comme Dotrémont pour qui la « force de synthèse pour l’existence humaine, va des mains aux yeux, et des yeux à tout l’esprit ».

 

- Un art narratif débouchant parfois sur un univers kafkaïen:

 

« Ils sont devenus fous » 2010.

Dans cette œuvre « Ils sont devenus fous », Aurel met en scène un cauchemar typiquement kafkaïen par des visions apocalyptiques de l’enfer sur terre. Cette représentation fait penser aux tours qui se sont effondrées lors des événements du World Trade Center le 11 septembre 2001.

Le trait participe à cette situation angoissante et tragique. Au premier plan, les pandas paraissent médusés et meurtris face au désastre qui se produit à l’arrière.

Le spectacle de la catastrophe est judicieusement orchestré. Effleurement mystérieux de ces lignes qui s’agitent fébrilement et nerveusement. Le rythme de l’écriture est proprement hallucinant.

Fulgurants, les signes se télescopent et se brisent. Atteints par la folie, ils sont tous atomisés et rompus.

Or, malgré cette grisaille jaunâtre et ce monde en déroute, Aurel réussit toutefois à instiller une vraie poésie du signe répondant inconsciemment au projet poétique ébauché par le même Dotremont du mouvement Cobra :

« La vraie poésie est celle où l’écriture a son mot à dire. La vraie poésie est aussi celle qui va hors de moi pour nous revenir, et ne passe pas par le rabot du langage que pour nous coucher, elle et moi, dans les copeaux légers de notre amour. »

 

« Foule de monstres » 2008

Le caractère kafkaïen se retrouve également dans cette autre œuvre (foule de monstres) avec la mise en scène tragique d’un monde peuplé de fantômes et de monstres.

 

- Le monde d’Aurel, un monde qui est toujours en mouvement:

« Echappe au serpent »

Aurel a aussi très vite compris l’importance du mouvement qui est à la base de tout et particulièrement dans son œuvre.

Dans le sillage d’un Dubuffet avec le continuum du mouvement ou d’un Keith Haring qui déclarait « la réalité physique du monde tel que nous le connaissons, est le mouvement… » et plus loin encore « Tout change, tout est toujours différent […] nous changeons sans cesse » (oct.1978).

Comme ce panda et ce serpent dans l’œuvre ci-dessus (« Echappe au serpent ») les créatures de ce jeune artiste sont toujours en proie à une activité fébrile.

Pour réaliser toutes ses performances, Aurel semble puiser cette habileté dans une sorte d’énergie primale qui viendrait des profondeurs de la matière illustrant parfaitement ce que disait Engels : « le mouvement est le mode d’existence de la matière ».

 

«Eclate  »

Rien ne résiste à ce mouvement venant des profondeurs conduisant parfois à faire tout « éclater » sur son passage comme semble l’illustrer cette œuvre.

Comment interpréter ce geste qui bouscule tout pour laisser chanter ce monde jubilatoire qui s’éclate cette fois-ci au sens figuré ?

Rien n’arrête cette vie qui émerge à fleur de toile. Elle est embrassement des sens et conduit à ce nécessaire déséquilibre, d’où le jeu subtil de ce magicien du mouvement.

Le mouvement c’est en quelque sorte le feu sacré qui lui permet de se dépasser et d’accéder à cette beauté vraie, telle que la définissait notamment John Keats :

« La beauté est vérité et la vérité, beauté, c’est tout ce que vous savez sur terre et tout ce qu’il faut savoir. »

 

Christian Schmitt, le 10 août 2011.

 

Aurel, Page officielle (son site internet)

http://www.facebook.com/sharer.php?u=Partager