TABLEAU 1998 (KIM EN JOONG)
Sans titre, 1998 (65 x 54 cm) coll.Schmitt
http://www.kimenjoong.com/html/temoignage/index.aspx
Comme le rappelait Kim En Joong lui-même : « Contrairement aux Japonais qui ont une palette très printanière, les Coréens ont un faible pour les couleurs d’automne, saison de plénitude et de maturité. Ce chromatisme se retrouve dans ma peinture » (Revue de la céramique et du verre RCV n°170, janvier-février 2010 p.37).
Ainsi dans ce tableau, les couleurs éclatent de toute évidence grâce à un chromatisme de plénitude et de forte maturité. Mais les masses colorées semblent plus ramassées et plus concentrées que d’habitude. De même contrairement aux autres toiles du peintre, la blancheur (le blanc) ne domine pas l’espace alors que Kim En Joong se débat d’ordinaire avec cette couleur immaculée…
De plus l’impression de « liquidité » ou de « fluidité » de sa peinture qui est une constante dans ses toiles (notamment les grands formats) apparaît moins frappante dans ce tableau.
En réalité le blanc est également présent dans cette œuvre mais en revêtant l’aspect d’une forme zigzagante au milieu de la composition elle-même. Loin d’être un vide, cette « trainée blanche » devient le passage obligé pour toute forme de vie : le lieu privilégié permettant aux autres mondes colorés de vivre dans la quiétude et le mystère.
Ainsi la masse violacée à droite semble s’épanouir grâce à un chromatisme de plus en plus violent et profond alors que les verts et les bleus, dans les autres parties du tableau, préfèrent évoluer tout en douceur par des dégradés souvent légers et subtils.
On observe aussi de manière surprenante, ici et là, la violence de l’incarnat qui prend la forme de taches ou de giclées (les rouges et les bleus) projetées sur la toile comme s’il s’agissait de casser de manière illusoire cette belle harmonie ?
Or ce monde que nous donne à voir Kim En Joong et malgré ces quelques perturbations, est un lieu organisé, non pollué comme aime le peintre. En cela il est proche de Cézanne en quête lui aussi de cet ordre comparable à celui de la nature qui ne se livre jamais par une perception enfermée dans un souci d’utilité.
Il faut donc rendre visible ce qui est a priori invisible après avoir pénétré l’essence des choses. Et c’est pourquoi seule une peinture des profondeurs comme celle de Kim En Joong notamment permettra un tel dévoilement.
Cette recherche qui prend la forme d’une quête mystique chez le Père Kim En Joong offre une similitude dans sa démarche avec celle de Husserl lorsqu’il s’agit d’en revenir aux choses mêmes en dehors de tout discours scientifique.
Et c’est pourquoi dès qu’il commence une nouvelle toile, ce peintre de la lumière doit livrer un nouveau combat et oublier comme le disait le même Cézanne « tout ce qui a paru avant nous » pour rendre aux choses leur réalité propre, leur vraie physionomie, afin de restituer cette profondeur de l’être.
Et dans ce tableau tout particulièrement on assiste à une lutte sans merci que se livrent les couleurs.
Tout participe à rendre le spectacle féérique et paroxystique à la fois en utilisant les couleurs avec beaucoup d’exubérance et de profondeur secrète. Mais tel un musicien, Kim En Joong réussira l’harmonie finale en mettant en accord les couleurs elles-mêmes malgré (ou grâce) à une vivacité des tons et une dispute des contrastes.
Pour terminer, je citerai la phrase écrite par Jean Thuillier dans son ouvrage « Kim En Joong, peintre de lumière » (Ed. du Cerf) : «Dans une œuvre qu’il veut absolument réussir, Kim engage son talent et toute la force de sa foi pour offrir avec ses rêves de couleurs un peu de bonheur au monde. ».
Christian Schmitt
Le 24 janvier 2010.