LE SILENCE DE CEZANNE

 

Autoportrait cezanne 

L'année  décisive de 1879 où il quitta ses amis Impressionnistes et retourna en Provence pour bâtir son propre univers pictural qui allait révolutionner tout l'art du XX° s. 

( voir les articles suivants: http://lenouveaucenacle.fr/cezanne-et-sa-quete-de-letre-serie-1-lart-pommesque et http://lenouveaucenacle.fr/cezanne-et-sa-quete-de-letre-serie-2-la-montagne-sainte-victoire  et http://lenouveaucenacle.fr/cezanne-et-sa-quete-de-letre-serie-3-les-baigneurs-et-les-baigneuses)

 

Lorsqu’il revient de manière définitive à Aix-en-Provence en 1879, Cézanne ne renie pas ses séjours parisiens ni les rencontres qu’il fit avec le groupe des Impressionnistes.

Mais le regard qu’il porte désormais sur le monde a changé et sa façon de cheminer en peinture l’oblige à tout quitter pour retourner à Aix, là où il était né, quarante ans auparavant.

Ce besoin de s’enraciner dans son pays natal correspond à son désir de ressourcement et d’authenticité. 

En réalité Cézanne est toujours resté fidèle à lui-même, un être à la fois fruste et sauvage. Enfant déjà, il inquiétait ses jeunes camarades du Collège Bourbon qu’il fréquenta dès 1852. Solitaire et parfois colérique, il préférait éviter le contact des autres pour s’enfermer dans l’étude studieuse des auteurs classiques.

Virgile lui procurait ses premières joies et affermissait son goût dans l’amour du sol classique. Et cette passion pour cette culture antique tempérait ses impulsions et ses premières violences par cette mesure dans l’art.

Son enracinement dans la pensée classique le rassurait devant les évolutions du monde environnant qui dès son jeune âge le déstabilisait. 

En cultivant ce rêve d’un autre âge, il mûrissait en prémisses sa quête du solide, du durable et du permanent comme les ferments de sa singularité future dans l’art. 

C’est d’ailleurs par le paysage provençal, inépuisable et suprême matrice, que Cézanne exprimera avec talent et ténacité cet aspect solide et intemporel de la nature. 

Mais cette attention soutenue à la nature n’est-elle pas une fuite du monde humain ? 

A l’évidence il répète souvent qu’il ne se laisserait pas mettre « le grappin dessus ».Mais s’il fuit le contact et les relations avec les autres c’est parce qu’il croit trop à l’amitié et aux liens solides édifiés et façonnés comme un temple grec ou une formation géologique indestructible à l’épreuve du temps. 

Il a le sens électif de l’amitié durable. Or cette façon de considérer les rapports à l’humain relève d’une certaine candeur et ses déceptions furent à la hauteur de sa folle espérance. 

Sa sensibilité torturante et sa passion fugueuse admettent difficilement les variations affectives et les changements d’attitude de ses proches. 

Il exige beaucoup de l’autre, peut-être trop et cela le conduit dans une sorte d’instabilité chronique. « C’est effrayant, la vie » dit-il souvent. 

Le regard qu’il porte sur le monde l’angoisse et ses nombreuses colères et dépressions ne sont que les manifestations d’un être profondément anxieux et insatisfait. 

Au cours de cette année 1879, il ne peut supporter d’être refusé à nouveau au Salon à Paris et lorsqu’il rend visite en automne à Zola, son ami d’enfance, il comprend également que cette amitié-là ne pouvait durer. 

Les premiers succès littéraires de Zola (L’Assomoir et Nana) et le luxe affiché dans sa demeure à Médan avaient déjà quelque peu désarçonnés Cézanne. 

Son repli sur Aix signifie la fin de ses illusions et dans le silence et la solitude, il va humblement peindre selon ses propres mots « un morceau de nature ». 

Quand il se retire en 1879 à Aix, l’histoire de sa vie semblait finie et pourtant c’est celle de son esprit qui s’ouvrit plus largement. 

La vision de la Provence lui permet de découvrir un univers qu’il n’aurait jamais découvert s’il était resté dans ces pays du Nord avec ses vallées paisibles et luxuriantes. 

La permanence du climat et de la végétation des campagnes de Provence ainsi que la violence exercée par ce soleil « terrifiant » l’obligent à installer son regard sur une autre réalité, en dépassant notamment la simple sensation fugitive exercée par la lumière. 

Ce cadre naturel convient merveilleusement au mystique qu’il est devenu. Cette expérience du « désert » lui permet d’approfondir sa quête de l’Absolu. A force d’observer et de se concentrer, son œil et son regard deviennent concentriques pour atteindre un point culminant.

Il dit notamment à Emile Bernard :

« Je veux dire que, dans une orange, une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant et ce point a toujours un terrible effet ». 

Et sa quête mystique le conduit à éclairer les choses de l’intérieur pour en ressaisir quelque chose d’essentiel, le réel dévoilé par le peintre dans la culminance ou l’émergence de son essence. 

Il assure aussi ne faire qu’un avec l’objet de sa peinture et de se « sentir coloré par toutes les nuances de l’infini ». Sa communion mystique est telle qu’il affirme même que « la toile doit être bue ».

En fait si le paysage provençal semble correspondre à ses aspirations artistiques il commence également à prendre ses distances par rapport au projet impressionniste car il n’adhère pas à cette saisie instantanée de la lumière fugitive.

Tout en intégrant l’apport de la technique impressionniste il cherche délibérément son dépassement pour « faire de l’impressionnisme quelque chose de solide et durable comme l’art des musées » (Cézanne de Gasquet Joachim, Paris, Bernheim-Jeune, 1921 et 1926, réimpression aux éditions Cynara, 1988).

Or « la peinture de l’atmosphère et la division des tons noyaient en même temps l’objet et en faisaient disparaître la pesanteur propre » (Merleau- Ponty, Sens et Non Sens, Le Doute de Cézanne, op.cit., p20).

Pour accomplir son projet, Cézanne a besoin d’utiliser des couleurs chaudes et du noir notamment pour représenter l’objet, le retrouver derrière l’atmosphère comme le dit plus loin encore Merleau-Ponty.

Et même s’il utilise toujours la technique impressionniste en supprimant notamment les contours précis et en donnant la priorité à la couleur sur le dessin, cela prend déjà un sens différent chez Cézanne.

«l’objet n’est plus couvert de reflets, perdu dans ses rapports à l’air et aux autres objets, il est comme éclairé sourdement de l’intérieur, la lumière émane de lui, et il en résulte une impression de solidité et de matérialité » (Merleau- Ponty, Sens et Non Sens, Le Doute de Cézanne, op.cit., p.21). 

Il pense la peinture comme une œuvre méditative en réunissant tout ce que l’œil perçoit comme diffus, fuyant et versatile pour « joindre les mains errantes de la nature » comme le dit fort justement Gasquet.

Le génie de Cézanne c’est de fusionner par son art tout ce qui parait a priori impossible car il pense si fort le paysage qui s’offre à lui qu’il en devient sa conscience.

Grâce à cette expérience fusionnelle, il termine et complète à la fois l’Impressionnisme en y apportant la lumière interne. Mais il ne peut réaliser son projet qu’au prix d’une rupture, en quittant le groupe des Impressionnistes et ses amis pour rejoindre son pays natal.

Et c’est pourquoi cette quête de l’Absolu, il ne peut l’entreprendre que dans le silence et la solitude, ne se laissant détourner ni par l’agitation parisienne ni par l’atmosphère de ces vallées enjouées de l’Oise dont l’éclat extérieur risquait d’occulter pour lui l’essentiehttp://lenouveaucenacle.fr/cezanne-et-sa-quete-de-letre-serie-1-lart-pommesquel. 

Ainsi c’est à Aix et dans ses environs immédiats qu’il trouvera ses nouvelles inspirations. A L’Estaque notamment, ce lieu l’aidera à penser la nature car désormais il ne cherche plus les variations de la lumière, ni le reflet de l’instant ni d’ailleurs tous ces moments fugitifs et éphémères que l’œil perçoit.

A présent il s’attache à aller au fond des choses pour rencontrer des formes éternelles et durables.

 

NEWS:

Le Qatar a acheté pour 250 millions de dollars (près de 190 millions d'euros) Les Joueurs de cartes de Cézanne.

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Selon Vanity FairLes Joueurs de Cartes (1895), une des cinq toiles exécutées par Paul Cézanne sur ce sujet, a été cédée en 2011 par les héritiers de l'armateur grec George Embiricos à la famille royale du Qatar. Le magazine révèle également le montant de la transaction: 250 millions de dollars, ce qui serait en conséquence le prix le plus élevé jamais payé pour une œuvre d'art. Soit 110 millions de dollars de plus que le Dripping de Pollock cédé en mains privées en 2008 et 115 millions d'euros de plus que le Klimt acquis par l'Américain Ronald Lauder. Les marchands Larry Gagosian et la galerie Acquavella étaient en lice, agissant sûrement pour des clients, mais ils n'ont pas pu aller au delà de 220 millions de dollars. La toile rejoindra le nouveau Musée national d'art moderne à Doha.

 
Par Eric Bietry-Rivierre
LE FIGARO,le 03/02/2012

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