Kheder à la cathédrale
Son atelier n’est pas plus grand qu’un débarras. Lui en faut-il plus ? Non. Ici, il est chez lui. Dans l’univers qu’il a su se créer à Forbach depuis presque trois ans. Kheder est un artiste atypique. Sa vie, d’abord, est faite de drames et de fuites. « Je suis né en 1972 à Jabal Sinjab, une région montagneuse du nord de l’Irak, raconte le peintre. Ensuite, nous sommes partis pour la Syrie, à Hassaka, avant de rejoindre un village proche de la frontière irakienne. »
En fuite perpétuelle
Kheder Haji Daham est yézidi, une vieille religion s’adaptant facilement aux autres cultes. Surtout, une religion persécutée par Daesh qui considère ses fidèles comme des adorateurs du diable. « En 2010, la situation est devenue terrible en Syrie. L’État islamique était sur les traces de tous les yézidis. J’ai décidé de retourner à Bara, en Irak, avec ma famille en 2013. »
En août 2014, la ville et les villages aux alentours sont attaqués par Daesh. Des milliers de tués et de blessés sont recensés. Kheder parvient à fuir. « J’ai perdu beaucoup de toiles et de sculptures puisque ma maison a été détruite. » En décembre, l’artiste obtient un visa pour la France. Il se retrouve à Forbach, sans rien, excepté le soutien de l’Association d’aide sociale et humanitaire aux yézidis implantée dans la commune. Kheder peut enfin s’installer avec sa famille, sans avoir peur pour sa vie et celle de ses proches.
Première exposition à Forbach
« J’ai vite rencontré les artistes de la galerie Têt’de l’Art de Forbach. J’ai fait ma première exposition chez eux. J’ai repris le travail. J’ai beaucoup peint et j’ai beaucoup stocké d’œuvres. » Des toiles aussi brutales que sublimes. Aussi violentes que porteuses d’espoir. « J’ai toujours en tête le génocide subi en Irak. Je veux montrer ça dans ma peinture. Dans ma tête, j’ai tellement de choses à dire. L’une des plus importantes, c’est qu’il faut vraiment distinguer l’État islamique de l’islam. Cela n’a rien à voir. Ce que Daesh a fait et fait encore, cela n’a rien à voir avec la religion. »
Après Têt’de l’Art, plusieurs personnes se mobilisent pour qu’il puisse exposer à Forbach et ailleurs. Un homme en particulier s’intéresse au peintre. Il s’agit de Christian Schmitt, agent artistique et auteur de nombreux ouvrages sur la cathédrale de Metz. « Un tel talent, il faut le guider dans la bonne direction. Lui permettre de s’épanouir dans les cercles artistiques adéquats. Les œuvres de Kheder parlent. Elles montrent l’horreur sans jamais la nommer. Plus sa peinture est abstraite, plus elle est expressive. »
Un agent artistique
Une belle relation de confiance s’installe entre les deux hommes. Surtout, Christian a une belle opportunité. « Il devait y avoir une conférence sur le génocide yézidi à la cathédrale. J’ai proposé de l’associer aux peintures de Kheder. La conférence n’aura pas lieu mais l’exposition est maintenue. Les chanoines ont proposé la chapelle Notre-Dame de la Ronde. C’est parfait. » Kheder aussi se réjouit de cet événement : « Je suis heureux de montrer mon travail à tout le monde. Bientôt, je présenterai mes sculptures et mes poèmes aussi. »
Exposition à découvrir jusqu'au 11 juin à la cathédrale de Metz.
« J’ai toujours en tête le génocide subi en Irak. Je veux montrer ça dans ma peinture »
Émilie PERROT, journaliste Le Républicain Lorrain