Présentation officielle du livre de Bissière
« Les vitraux de Roger Bissière, Cathédrale Saint-Etienne de Metz »
(voir aussi l'article paru dans la Revue Le Nouveau Cénacle : Bissière creuse le ciel http://lenouveaucenacle.fr/roger-bissiere-creuse-le-ciel )
L'avant-propos de mon livre sur Bissière écrit par son ami Jean-François Jaeger:
Parler de Roger Bissière, c'est évoquer cette période où la cathédrale de Metz faisait figure de pionnière parmi les cathédrales françaises en accueillant des artistes modernes.
L'abbé Paul Couturier avait déjà lancé l'idée de faire appel à des artistes de notre temps pour remplacer les vitraux des cathédrales trop endommagés lors du dernier conflit.
Une polémique était née entre les tenants du conservatisme ( la cathédrale = lieu muséal, inviolable et inaltérable...)
et ceux du modernisme : l'Eglise doit vivre avec son temps et accepter les œuvres du monde actuel ...mais bien entendu, avec toujours, une exigence de qualité.
A ce titre, j'ai toujours en mémoire cette phrase du père Couturier :
« Mieux vaut faire appel à de grands artistes sans la foi qu'à des croyants sans génie. »
Robert Renard, architecte en chef des Monuments historiques chargé notamment de la cathédrale de Metz a suivi les recommandations de l'abbé Couturier.
Il a déjà fait appel en 1957 à Jacques Villon pour les vitraux de la chapelle du Saint-Sacrement, pour l'année 1960 c'est au tour de Bissière et ce sera quelques années plus tard celui de Marc Chagall après la fameuse parenthèse Cocteau, qui a été recalé mais ensuite fort heureusement retenu pour l'église Saint-Maximin !
Pourquoi Bissière ?
Né en 1886 à Villereal dans le Lot-et-Garonne. En 1934 , il ouvre l'Académie Ranson avec des élèves qui incarneront comme lui l'Ecole Française : Francis Gruber, Alfred Manessier, Jean le Moal, Jean Bertholle.
Mais proche de la nature comme Cézanne, il se retirera ensuite dans sa maison de campagne à Boissierette dans le Lot.
- il introduit dans sa propre peinture la matière elle-même(le matiérisme) ,le recyclage des matériaux aussi divers que des tissus, des vêtements ou des outils de fer, et aussi la substance naturelle, comme l'oeuf , qui symbolise le mieux sa « primitivité du faire »,
- une osmose entre la nature à la manière du petit frère d'Assise : son monde pictural devient alors poétique
- il veut restituer « la création tissée de lumière ». qu'il définit comme un chant polyphonique. Je le cite :
« ...les couleurs ne décrivent pas, elles évoquent, elles ont une teneur de printemps ou d'été, de ciel, de feu, de feuillage ou de terre, mais surtout de lumière. La lumière est principe de vie de toute la création, d'illumination de la matière, et ce qui donne vie aux couleurs. Les couleurs sont des variétés de la lumière incorporée, incarnée. »
- Roger Bissière, un être simple qui veut restituer la nature...
C'est pourquoi Robert Renard a été attiré par la profondeur et la simplicité de ce peintre.
Après une peinture, réfléchie, pensée et ordonnée comme celle de Jacques Villon, l'aîné des Duchamp dans la chapelle du Saint-Sacrement, il fallait aussi une peinture qui apporte une profondeur mystique dans l'agencement de lumière de la cathédrale.
D'où le choix de Roger Bissière !
Comment ?
- ses deux verrières en devenant source et sommet de toute l'architecture de lumière de la cathédrale :
Côté nord, la lune, la nuit avant la résurrection
Côté sud, le soleil, l'éclatante résurrection
-une peinture non figurative pour nous faire plonger pleinement dans le mystère (mais en signifiant une présence et non le vide), car chez lui l'invisible hante en permanence le visible (cf Jacques Derrida), grâce notamment à ses pictogrammes.
Ils nous permettent de vivre avec cet invisible qui hante le visible
- priorité donnée à la couleur par rapport au dessin. Max-Pol Fauchet affirme que Bissière est le peintre par excellence qui fait chanter les couleurs du monde.
- une organisation étonnante de sa palette :
tympan nord :
domination des bleus froids pour évoquer le monde de la nuit alors que le tympan sud célèbre le monde du jour avec ses ocres radieux.
Mais ce magicien des couleurs étonne aussi par un vocabulaire plus contrasté.
Dans la verrière nord, les bleus ne sont pas tous uniformes, alternance de coloris plus doux, voire riches, onctueux et veloutés : on découvre parfois un monde illuminé, voire radieux qui est loin d'être la pénombre froide et triste.
Reprise du Psaume 139 : « les ténèbres mêmes ne sont plus ténèbres devant toi. Et la nuit resplendit comme le jour ; ténèbres ou lumière, c'est un tout. »
L'artiste accentue par ailleurs l'opposition des deux verrières, par des chromatismes brillants.
Rendre la nature lumineuse, c'est réduire sa part d'ombre, comme l'affirmait déjà Maître Eckhardt, « décréer » vers plus de transparence par des sortes de purifications successives. Ainsi le vitrail sud va mettre en résonance une multitude de tons colorés, souvent des ocres, des bruns, voire des couleurs or. Toutes ces couleurs pour chanter bien évidemment la Résurrection !
- un monde disjoint qui fait oeuvre :
Les vitraux de Bissière ont la particularité de se présenter comme un monde éclaté, composé d'innombrables particules de verres (422 pièces au m² !).
En reprenant l'analyse de Jacques Derrida, on peut affirmer que l'artiste nous plonge intentionnellement dans le monde disjoint.
Son œuvre nous introduit, en effet, dans le mouvement perpétuel comme si elle était mue par une force mobile inouïe...signifiant que la création ne se termine jamais.
Cette non-coïncidence et le fait que toutes ces particules de verre ne se rejoignent jamais entre elles, elles sont seulement accolées mais sans jamais réellement fusionner, constituent le moteur et la vie de l'oeuvre et au-delà de notre monde lui-même.
- l'artiste spectralise son oeuvre :
Grâce à ses énigmes figurés, ces détails incompréhensibles appelés « pictogrammes », Bissière nous aide en définitive à accéder au non-visible, à la partie invisible du monde.
En empruntant l'idée à Derrida, l'on peut dire en définitive que Bissière « spectralise » son œuvre pour rendre l'invisible comme une présence absente.
Et pour terminer, je citerai Merleau-Ponty :
« Celui qui voit ne peut posséder le visible que s'il est possédé »
Assurément c'est bien le cas de Bissière qui avec ses vitraux ne cesse de nous hanter comme son chant polyphonique qui nous envoûte par sa « création tissée de lumière ».
Metz, le 17 janvier 2016 (mon exposé prononcé au Salon de Guise à l'Hôtel de Ville de Metz en présence de Monsieur Dominique Gros, maire de Metz et de Monsieur Sébastien Wagner, directeur des Editions des Paraiges.)
Vous pouvez commander et acheter ditretement le livre sur les vitraux de Roger Bissière sur le site de l'éditeur: