Not only...de J. ROBINSON

 

("Not only the tombstone will remain", acrylique sur toile, 86,50 x 152,40 cm, 2008)

Jeff Robinson se revendique comme un peintre de l’émotion et n’hésite pas, parlant de sa manière de travailler, d’utiliser son aphorisme favori qui est de « danser avec la peinture ».

Plus loin, il dit encore : « Mon œuvre est un paysage d’émotions, ce sont des strates d’expérience transformées en actes d’une manière virtuelle. J’ai l’habitude de travailler en musique afin de parvenir à une synthèse, là où les sensations que j’éprouve se transforment en touches de couleur sur le tableau. » (Propos traduits en français de son blog : www.robinsonvisions.com)

Or, paradoxalement dans cette toile le monde qu’il nous donne à voir parait désenchanté. En effet dans cette composition sombre et sourde, les couleurs sont froides et tristes comme ces bruns de couleur rouille, ces nuances bleutées et violacées à droite et ce blanc qui apparait ponctuellement mais sans apporter aucune clarté.

Le titre de cette œuvre est à la fois énigmatique et révélateur « Not only the tombstone will remain » qui peut se traduire en français par : « il n’y a pas que la pierre tombale qui subsistera ».

En fait tout baigne dans l’univers de la technologie. L’omniprésence de la technique et du machinisme est manifeste dans cette toile. Les formes font penser à des objets industriels (des machines-outils, des machines robots…). Ils occupent tout l’espace alors que l’homme y est étrangement absent.

Par ailleurs il est évident à la lecture de son œuvre que Jeff Robinson se situe dans la continuité du mouvement surréaliste. Comme tous les peintres de cette école, il transcrit une vision du monde qui peut paraître irréelle comme résultant des forces psychiques libérées du contrôle de la raison (automatisme, rêve, inconscient) et en butte avec les valeurs reçues.

C'est pourquoi lui-même parle volontiers du caractère « électrique » et spontané (voire automatique) de son travail et notamment :

« Mes peintures expriment le temps électrique de l’instant, c’est pourquoi je travaille à toute vitesse afin d’établir une relation directe entre mon cerveau et ma main.

Se mouvoir rapidement en improvisant est important dans ma manière de faire parce que peindre de cette façon aide à créer inconsciemment » (propos de son blog précité)

Mais le monde surréaliste de Robinson n’est pas celui d’un Duchamp ou d’un Picabia qui eux glorifiaient par contre la technique et prônaient le culte de la machine. Ici au contraire ce jeune peintre suit plutôt l’exemple d’un Matta en adoptant une attitude résolument critique.

Ainsi pour Jeff Robinson, la machine est perçue comme une menace pour l’homme. Elle parait autant vivante, que menaçante ou torturante. Le règne du machinisme avec sa profusion d’éléments divers (pièces et dispositifs multiples) envahit tout l'espace et ne permet plus à l’homme d’exister. Cet espace devient proliférant, invasif et organique.

Face à ce danger majeur pour l'humanité, Matta est devenu sans conteste son maître à penser, lui qui fut l’un des derniers surréalistes ayant mené une critique acerbe et radicale contre le monde technique. D'ailleurs on sent nettement l'héritage de ce grand peintre dans le style pictural de Jeff Robinson. Et mieux encore ce peintre chilien est devenu une sorte de Bruegel d’Enfer de notre époque par sa peinture : « peinture dramatique de fureur et de protestation ».

Dans le sillage du surréalisme, Wifredo Lam utilisera également l’humour noir pour stigmatiser par ses figures nocturnes ce monde dangereux, empli de cris de guerre et de catastrophes. Jeff Robinson fait le même constat que ces illustres prédécesseurs : ce monde est un lieu de mort pour l’homme !

Egalement adepte des fantasmagories et des représentations polysémiques de qualité, ce jeune artiste américain utilise avec bonheur une écriture puissante et somptueuse pour décrire ce monde. Certes il n’a aucune intention de le magnifier mais la beauté de son discours pictural va permettre à son plaidoyer d'être plus prégnant.

C’est un perfectionniste : la facture de son œuvre est rigoureuse, avec un graphisme minutieux d’une grande qualité esthétique et merveilleusement servi par son goût particulier pour le détail. Une composition qui rappelle celle des cubistes avec ses formes claires, résolument constructives.

Son art reflète aussi un état d’émotion et de bouillonnement qui fait écho également à ce que disait un certain André Breton :

« La beauté sera convulsive ou ne sera pas »

Metz, le 6 septembre 2010

Christian Schmitt


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