L'Oeil et l'Esprit de Merleau-Ponty

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Maurice merleau ponty

L’œil et L’esprit chez M. Merleau-Ponty

(site Philo-Alèthaia : http://philoaletheia.canalblog.com/archives/2011/06/29/21505722.html)

En préambule, il semblerait opportun de définir le champ lexical du terme phénoménologie (Je renvoie à cet égard pour plus de précisions au : Chapitre 7 « d’Etre et temps » de Heidegger)

L’expression est composée de deux éléments : phénomènes et logos, la phénoménologie serait donc la science des phénomènes. Il convient donc d’élaborer le sens du « phénomène ».

L’expression grecque phainomenon à laquelle remonte le terme « phénomène », dérive du verbe « phanesthai », qui signifie se montrer, phainomenon signifie donc : ce qui se montre en lui même, LE MANIFESTE.

La phénoménologie élabore donc un sens de l’être comme « APPARAITRE » : être, c’est apparaître. L’apparaitre est l’être de ce qui est. Husserl, le fondateur de la phénoménologie et le maitre de Heidegger résumera le sens de l’être comme apparaitre dans le mot grec «  eidos » qu’on traduit ordinairement par « essence », mais que l’on pourrait traduire plus justement par «  ASPECT »( à mettre en parallèle, nous le verrons ultérieurement avec le concept de style ou de geste initié par le peintre), c'est-à-dire comme  mode de donation de l’objet , ou mieux de la CHOSE même.

Là nous retrouvons le célèbre mot d’ordre de la phénoménologie à savoir « le retour aux choses mêmes, qui devra s’entendre comme un retour à un « en deçà » de la scission traditionnelle du sujet et de l’objet, celle initiée par Platon ( « Topos » sensible et « topos » intelligible) jusqu’à E. Kant ( opposition du noumène : objet X, en soi et du phénomène : objet tel qu’il m’apparaît)

C’est dans cet en –deçà que se caractérise la phénoménologie comme théorie de l’apparaître. Plus précisément, il s’agira dorénavant de DECRIRE et non pas d’expliquer ou de catégoriser à la manière de la pensée scientifique le monde, ce que sont les essences (cf Husserl) ou de mettre à jour « le monde de la vie » ( Lebenswelt : Merleau- Ponty). DECRIRE signifie au fond, tenter l’essai d’une description directe de notre expérience telle qu’elle est. Il s’agira au fond de faire parler notre premier contact naïf avec le monde. 

 1. L’enjeu philosophique Merleau Pontien : 

L’enjeu philosophique Merleau Pontien  sera donc d’interroger les choses dans  leur «  il y a », leur « es gibt « , sans préjuger de leur mode d’exister, sans projeter par avance un sens évident de l’existence, qu’il s’agisse du vécu ou de la réalité naturelle. Souhaiter revenir aux choses mêmes, c’est vouloir accéder à la SAISIE de l’Etre avant la séparation du monde pré-théorétique et des idéalisations, au-delà de tout artefact et de toute sédimentation.

Mais qu’est-ce que l’Etre ? Ce que Merleau Ponty appelle « l’Etre », n’est ni sujet, ni objet, il n’est pas soumis à l’énonciation, à la désignation, au logos, il serait plutôt l’élément dans lequel naissent le sentir et le dire. On pourrait presque revenir, d’une certaine façon à une conception philosophique ionienne qui s’attachait à déterminer l’état primitif des choses, à établir une ontologie de l’élément : texture commune du sujet et de l’objet. 

Il s’agira donc pour Merleau Ponty de s’enquérir du statut du «  qui » de l’expérience pré-réflexive, ante-prédicative, du sens de la «  CHAIR »( c'est-à-dire de l’étoffe commune du corps voyant et du monde sensible) de l’ouverture comme être qui échappe à la division du sensible et de l’intelligible .Pour ce faire, il sera absolument nécessaire de neutraliser tout idéalisme, tout intellectualisme, tout constructivisme. 

C’est dans cette acception, d’ores et déjà et de prime abord, qu’une question affleure : Quels peuvent être les rapports de la conscience et de la nature ?

D’une façon plus globale ou ramassée, l’entreprise Merleau Pontienne répond t- elle à une mouvance ou visée d’ordre gnoséologique, ontologique ou strictement esthétique ?

2. La critique épistémologique ou de l’intellectualisme : Pensée scientifique/ constructivisme – (Descartes)..

S’il s’agissait d’une entreprise strictement gnoséologique, c'est-à-dire qui à trait à la connaissance et à la recherche de la vérité, celle-ci supposerait un tout autre modus operandique celui utilisé par la science en général. C’est ainsi que  nous pouvons lire : « Comment réinsérer la science « pensée de survol, pensée de l’objet en général... dans un il‑y‑a préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible et du monde œuvré, tels qu’ils sont dans notre vie, pour notre corps, non pas ce corps possible dont il est loisible de soutenir qu’il est une machine à information, mais ce corps actuel que j’appelle mien, la sentinelle qui se tient silencieusement sous mes paroles et sous mes actes »… [L’Œil et l’Esprit].

Dans cet extrait, M. Merleau Ponty examine les données scientifiques, leurs acquis et leurs impasses.( voir aussi à ce sujet sa thèse cf :  Structure du comportement etPhénoménologie de la perception. ») La conscience intellectualiste contemple et objective le monde après l’avoir construit. La pensée intellectualiste et la pensée scientifique neutralisent et dénigrent la perception originaire par laquelle le monde se déploie, elles voilent le phénomène perceptif par le jugement qu’elles introduisent d’ores et déjà sur les ob-jets de leur réflexion. Cette forme d’interventionnisme systématique, évoquera une certaine forme d’échec de la pensée scientifique.

En effet, et de ce point de vue là, l’activité réflexive s’écarte de plus en plus du sol originaire où prend forme toute vérité, en interrompant notre ENGAGEMENT SPONTANE dans le monde. Elle transforme la présence perçue des choses en ob-jet de pensée. L’OB-JET, en allemand se dit« Gegenstand », littéralement, il est ce qui se pose devant moi en s’opposant, en me faisant face comme égoité distincte et différentielle ou sujet de re-présentation... Partant de ce fait, l’attitude scientifique perd conscience de son propre commencement, possiblement défini comme origine avant l’origine. Elle manque l’essentiel, la croyance ou la «  foi » en une perception fondatrice de toute modalité d’être-au-monde.

Cet « en deçà »primordial M.M. Ponty le nommera le pré-réflexif (réflexion si l’on veut pré-thétique) ou l’anté-prédicatif qui ne fera qu’un avec le mouvement de l’existence corporelle. Voilà la raison pour laquelle l’auteur de l’œil et l’esprit qualifiera la pensée scientifique de « SURPLOMB » ou de SURVOL », de pensée d’après coup aussi..

Pour avoir une notion « juste », «  véritable »du monde, encore faut-il en avoir une pensée pré-constituée (par la conscience), c’est à dire indemne de tout jugement.

C’est dans cette optique, qu’il faudra reprendre la problématique de la perception et particulièrement celle du corps propre. Il s’agira de nous remettre en présence du monde, en tant que nous sommes des êtres-au-monde par notre corps, en tant que nous percevons le monde avec notre corps. (cf Phénoménologie de la perception). Il s’agit de revenir au monde vécu en deçà du monde objectif, qui n’est certes probablement qu’une position sur le monde, mais une position fondatrice dépourvue de vecteur intentionnel propre à la conscience ou au constructivisme dont la prise de position est , quant à elle volontaire .Il faudra apprendre à se dégager, à se désengager de nos formes de pensées stéréotypées , de ces postures qui forgent et alimentent nos schèmes intellectuels pré-fabriqués pour s’engager dans cette voie et relation originales qui ne passent pas par une thématisation. On n’a plus de sujet mais un être qui se tient toujours et déjà en rapport avec le monde et dont l’être consiste précisément dans ce rapport. Un être qui se manifestera sur le mode de l’échappement à soi, qui se sait présent dans le monde qu’en avançant vers le monde. 

Merleau Ponty nous invite donc à parcourir une autre forme de « réflexion », peut-être de surréflexion sur une vie irréfléchie qui précède tout acte intentionnel ou prise de position volontaire pour atteindre le monde de la vie (LEBENSWELT). Mes yeux, mes mains, mes oreilles dira Merleau Ponty dans «  Sens et non sens » sont autant de « Moi Naturels qui fusent à travers moi sans que j’en sois l’auteur ».Réhabilitation et primat du corps, de la perception, du couple énigmatique du sentant/senti que j’incarne par ma présence ( anwesenheit ) au-monde.        

3. L’art comme paradigme nous conduit au-delà de la simple perception : l’atteinte possible d’un monde primordial

3.1 Le corps comme condition d’accès à toute connaissance

Origine de toute perception, je suis un être au monde par mon corps, les choses sont le prolongement de mon corps. M.M. Ponty dira « l’énigme réside en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible, sentant et senti », un sujet conscient et un apparaissant. Il s’agit de comprendre, de prendre conscience comment le visible et le voyant passent l’un dans l’autre, comment cet entrecroisement a lieu. L’énigme dont il est fait allusion est celle de «  l’INVAGINATION » de la chair (l’être même du sensible), qui est aussi celle de la visibilité du monde. 

3.2 La vision : l’acte de peindre est un acte exclusivement de la vision

« Contrairement au peintre de simulacres dénoncé comme illusionniste par Platon, le regard du Peintre de Cézanne tente d’accéder à l’être des choses, en deçà de la pensée conceptuelle qui les recouvre »( cf leçon de Cézanne M. Merleau Ponty). Si M.M Ponty crée une sorte de primauté ou priorité de la peinture sur l’ensemble des autres arts, c’est que l’acte de peindre est un acte de la vision, du voir (videre) qui transmet dans l’évidence de l’instant une appréhension originelle de l’être. Faut-il le rappeler l’acte de la vision est double : il est à la fois une mise à distance du monde et le dévoilement du monde intérieur « regarder un objet c’est venir l’habiter » , le hanter(Phénoménologie de la perception).Le peintre institue un monde par son STYLE ( qu’il ne perçoit pas d’ailleurs) par sa préhension originelle et directe du réel, par son geste, par son coup de pinceau , il institue un monde. Voilà pourquoi, le tableau sera toujours« auto-figuratif »parce qu’il ne représente pas d’ob-jet, parce « qu’en étant spectacle de rien, il crève la peau des choses » ! Il donne à voir plus que ce que la simple vision anthropomorphique suggère, il nous pro-jette et nous propulse dans un « en-deçà »du dire, du discours, du monde de l’analyse. C’est ainsi que l’auteur de « l’œil et l’esprit » dira«  La vision du peintre n’est plus regard sur un dehors, relation »physique-optique », seulement avec le monde. Le monde n’est plus devant lui par représentation : c’est plutôt le peintre qui nait dans les choses comme par concentration et venue à soi du visible. » (L’œil et l’Esprit p : 70)

C’est dans cette même veine qu’il nous faudra comprendre les concepts de profondeur, comme celui du temps d’ailleurs, ils ne seront plus des données quantifiables, mesurables mais ils deviendront pour le premier une perspective vécue, pour le second une temporalité vécue ( Cf Bersgon).

CONCLUSION : 

Si nous devions répondre en guise de conclusion à la question suivante : La phénoménalité possède t-elle une puissance de dévoilement du monde ou d’un monde comme vérité, comme vérité de l’apparaître ? Il conviendrait de préciser que cela suppose que nous acceptions et sachions nous déprendre de nos habitudes perceptives pour être à même d’interroger la CHAIR du monde.

En sommes-nous capables d’abord, et dans l’affirmative, que pourrais-je en dire, pas grand-chose semble t-il, puisqu’à ce stade tout se soustrait au dire, au langage, au logos. Restons donc, si vous le voulez bien dans l’évidence de la présence d’un ‘il y a «  et de ma présence dans la chair du monde.

 Pour mémoire, nous avions questionné en préambule la nature de la visée Merleau pontienne. Est-elle d’ordre gnoséologique, purement esthétique ou ontologique (c’est à dire une ontologie du sensible qui dit que voir c’est toujours voir plus qu’on ne voit) ?

Il semblerait qu’ à la lecture et lumière du texte Merleau Pontien, cette philosophie qui est à faire, soit celle qui anime le peintre, non pas quand il exprime des opinions sur le monde, mais à l’instant où sa vision se fait geste, quand dira Cézanne, il pense en peinture ».

Je pense que cette philosophie  qui reste à faire est une ontologie, elle sera celle de la CHAIR : entrelacs de ma corporéité avec celle du monde, qui se réciproquent l’un et l’autre.

En effet, poser l’affirmation suivante, « il y a quelque chose » ne signifie pas qu’il y a des choses mais plutôt qu’il n’y a pas rien, que le néant est impossible, que nous sommes toujours d’ores et déjà dans l’Etre, qu’il n’y a pas de vide ontologique, mais peut - être bel et bien uneONTOLOGIE DE LA CHAIR…

MPC