CHAIR-OBSCUR DE LARRY

 

Avec ''Chair-Obscur '', Dominique Larrivaz transcende le monde par la chair.

 

A l’exemple de Cézanne qui affirmait : « On ne peint pas des âmes. On peint des corps. », Dominique Larrivaz, dit Larry, est un peintre qui plonge lui aussi dans cette pâte humaine par ses thèmes favoris qui sont notamment les Odalisques, Saint-Sébastien, les Nus, les Travelos…

Mais mystérieusement comme par effet de transsubstantiation sa peinture devient elle-même corporelle, célébrant à chaque coup de pinceau une curieuse messe alchimique. Larry affirme lui-même : « la peinture devient le corps de la matière …la couleur chair du corps, va devenir la couleur de la peinture. »

Et pourtant ce que nous donne à voir ce peintre parait souvent éloigné de la beauté sacrée car on y voit plus le grotesque que le sublime, le trivial que le mystique.

En effet le violent barbarisme de Larry se manifeste par ces femmes prostituées, abîmées par la vie et non par des figures sophistiquées épousant les canons de la beauté féminine que l’on retrouve dans les catalogues publicitaires.

Mais étonnamment il réussit à restituer une profondeur d’âme à ces sujets car il rejette la perception convenue des êtres et des choses. D’une certaine manière, il rejoint la voie de la phénoménologie pour « revenir aux choses mêmes » (Husserl).

Car en restituant la dignité ontologique à des êtres que la société rejette et méprise, il rejoint aussi d’une certaine façon la pensée de Martin Heidegger : des corps traversés par le passage de l’Etre dans le temps.

Larry réussit aussi à signifier cette présence en décrochant ses personnages du mur. Ils sont parmi nous, peints grandeur nature sur papiers découpés et certains sont même placés dans la salle d’exposition comme des statues en cire du Musée Grévin.

Ce peintre rend réel ce surgissement de l’être car il ne fait qu’un avec lui.

Dans ses œuvres appelées les Envergures (voir ci-dessus), l’artiste plonge littéralement dans la peinture et celle-ci déborde au-delà de sa personne. Il la fait exister par un phénomène d’osmose entre elle et lui.

Déjà en 1980, il avait réalisé une performance en affichant ses filles sur papier dans chaque recoin de la rue Saint-Denis et même sur les arbres des bois de Vincennes et de Boulogne.

La couleur participe aussi à son projet ontologique. Elle n’est plus l’enveloppe des choses, elle devient la substance même à partir de laquelle ses êtres existent vraiment.

Comme pour signifier une nouvelle création, il utilise des éléments issus du monde animal et végétal : « un œuf entier, de l’huile de lin, de la résine d’arbre que l’on appelle le vernis dammar ou le siccatif » (communiqué de presse du 16 mai 2011)

Ses rimes plastiques, formelles et chromatiques font penser par ailleurs à des sensations complexes similaires à celles évoquées par Baudelaire dans ses correspondances : « les parfums frais comme des chairs d’enfant […] verts comme des prairies » (Baudelaire, Charles, « Correspondances » in Les fleurs du mal). Un rêve romantique qui sourd puissamment de cette fusion de l’homme et de la nature.

C’est aussi l’éternelle hantise du Paradis dont parlait Roger Fry (« Le développement de Cézanne », l’amour de l’art, n°13, 1996). Ces corps énergétiques dont l’apparence se rapproche de l’univers du vivant, aussi bien humain qu’animal.

Certes, mais cette peinture charnelle s’inscrit également dans une grande tradition picturale initiée par le même Cézanne avec ses Baigneuses et suivie quelques décennies plus tard par le génial Picasso avec ses Demoiselles d’Avignon.

Une flamme froide habitait ces peintres et ils avaient élaboré des théories sur la forme pour devenir comme l’affirmait Klee des « philosophes de la forme »

Larry retrouve la même fascination par l’application de techniques nobles appliquées à des sujets banals, prolétaires et obscènes.

Il participe d’une certaine façon comme Max Beckmann à la mise à nue de l’âme et contre l’imitation irréfléchie du monde visible : « la nature est un merveilleux chaos, notre tâche, notre devoir, est de mettre de l’ordre dans ce chaos »

Il transforme la réalité en couleur et en forme. Il remplit l’espace par un monde en effervescence, un monde tribal, magique peuplé de ces hommes que l’on découvre également dans les arts premiers.

 

 

Cet espace dont Max Beckmann disait pour sa part remplir « d’un peu de bric-à-brac pour ne pas trop voir sa terrible profondeur…cet abandon sans limites dans l’éternité, cette solitude… ».

Mais aussi à la manière du Pop Art qui avait donné sa dignité à la représentation du trivial et du quotidien grossier en l’agrandissant et en le monumentalisant tout en y jetant également un regard critique.

Pourquoi montrer des phallus géants ? Pour démythifier l’interdit moral, le non-montrable ? En réalité sa peinture est vivante, non obscène, plutôt joyeuse comme aux premiers temps du paradis terrestre avant l’irruption du péché. Avant la chute «…tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre » (Gn, 2, 25)

Larry veut d’une certaine façon nous déculpabiliser de la vision de certaines scènes choquantes héritées d’une tradition judéo-chrétienne. Lorsqu'il nous montre un Saint Sébastien, fléché avec un phallus très apparent, c’est pour nous montrer qu’il s’agit bien d’un corps d’homme. Ni d’un ange, ni d’une personne asexuée, mais réellement et authentiquement d’un « mec » !

Car sa peinture est belle et vraie. Cet artiste possède à merveille les techniques classiques et reste fidèle au binôme : le peintre et son modèle. Il est toujours dans sa recherche du corps, dans sa représentation.

Certes dans l’œuvre de ce peintre, il y a indéniablement une dimension de réflexion critique et de distanciation. Cette valorisation excessive du corps conduit parfois à une réaction de rejet de la part de l’artiste qui peint mais aussi chez le spectateur qui contemple ces hommes comme des demi-dieux ridicules.

En se référant à nouveau à Baudelaire, cela évoque la peinture d’un Eric Fischl avec son thème favori sur la société des loisirs occidentale. Ce peintre américain décrit à merveille cet « ennui baudelairien », l’ennui mortel dans sa vision contemporaine. Il montre l’homme à la plage, prostré devant la télévision ou vivant dans la désolation dans les banlieues américaines.

Larry montre également cet homme meurtri et comment il devient son propre objet. En l’isolant dans une posture qui rappelle la souffrance et la profonde solitude de l’être. Il est comme dans une position d’arrêt sur image.

Le thème de la monotonie est repris également et largement par la plupart des représentants de la Figuration Libre en France (Hervé di Rosa)

Après les rêves aveugles de « l’homme nouveau » dans le paradis terrestre s’est substituée une vague résignation. Marie-louise Syring a écrit à ce propos : « Il ne s’agit de l’enjolivement de ce qu’on appelle les mythes modernes. »

C’est pourquoi les sujets abordés par Larry proviennent bien plus de l’underground avec les figures des prostituées, des travelos. Il les introduit dans son univers pictural, pour surmonter leur mutité.

Il poursuit le sillon tracé par le courant du graffiti et celui du prestigieux Keith Haring pour réussir ce mélange alchimique qui est la signature des grands peintres : le rationnel et l’irrationnel, l’ironie et la magie, l’emploi des techniques toujours nouvelles avec celles plus traditionnelles.

 

A ce titre sa dernière réalisation sur Le MUR de la rue d’Oberkampf le 28 mai 2011 nous introduit de manière surprenante dans les voix les plus intérieures par ce regard transcendant alors qu’il ne s’agit que celui d’un chien quelconque : encore un nouveau paradoxe cultivé à merveille par cet artiste surprenant.

Assurément sa prochaine exposition « Chair-Obscur » à la galerie Moretti&Moretti va nous réserver d’autres surprises et c’est donc avec un réel intérêt et une certaine impatience que nous aspirons à être flashés par ses nouvelles créations.

Christian Schmitt, le 31 mai 2011

 

Galerie

 

 

6, cour Bérard 75004 Paris

Métro Saint-Paul ou Bastille

06 23 40 12 50

www.moretti-moretti.com

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