Cocteau et le vitrail (2)

"Je décalque l'invisible"  de Christian Schmitt (2° partie)

Le livre "Je décalque l'invisible" sur les vitraux de J.Cocteau est publié, vous pouvez le commander et l'acheter sur le site de l'éditeur: 

http://editions-des-paraiges.eu/magasin/page2.html

 

 Les Vitraux de Cocteau (résumé)

Plus près de nous  Michelangelo Pistoletto, peintre italien du mouvement de l’Arte Povera estime que : « le miroir est lieu d’une expérience. »

D’après  une thèse intitulée « Le miroir dans l’œuvre de Michelangelo Pistoletto » publiée  le 21 mai 2008 par Egest Gjinali, Aline Juon et Florine Wescher de l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne cette phrase doit être interprétée de la façon suivante :

« En préférant le mot de lieu, à celui d’espace, Pistoletto nous informe sur sa perception du miroir et de l’espace environnant. L’espace est un terme abstrait qui est illimité…dans l’espace, on se déplace, mais cela reste au niveau des choses  et des objets. Le lieu est créé par le vivant : pour qu’il y ait  un lieu, il faut  une présence  humaine. »

Par conséquent Pistoletto fait entrer la peinture dans et sur l’espace spéculaire, de cette manière, le miroir n’est plus un objet de représentation mais devient support et surface à peindre.

Et il le  justifie en ces termes :

« Comme il m’est impossible d’y entrer physiquement, pour poursuivre mes investigations sur la structure de l’art, je dois faire entrer le tableau dans la réalité, en créant l’illusion de me retrouver au-delà du miroir. »

Mais n’est-ce pas aussi ce qu’a voulu faire Cocteau en transformant par l’art l’espace spéculaire en vitrail ?

Paradoxalement si l’effet de représentation n’existe plus, par contre la sensation de pouvoir entrer dans l’œuvre est accentuée : l’effet miroir disparaît au profit de l’illusion de la prolongation de l’espace. L’impression d’aller vers l’au-delà est même renforcée.

Mais sa première étape décisive pour s'approprier  le vitrail va débuter réellement dans les années 1950 par le Gemmail.

C'est Jean Crotti, peintre français qui invente cette technique dans les années 30. Il eut l'idée de superposer des cristaux de verres assemblés par des moyens empiriques. 

Et c'est ensuite  Christian Malherbe Navarre, physicien (1912-1963) qui découvrit   le moyen d'assembler définitivement les différentes superpositions de verre.

Le nom "Gemmail" vient de la contraction de deux mots "Gemmes" et "Email".

Le Gemme est une pierre précieuse, en l'occurrence le verre de couleur et l'émail désigne de façon très générale le liant servant à fixer les morceaux de verre.

Très tôt Cocteau est  fasciné par cette technique et il appelle "Gemmiste" pour désigner les artistes qui s'expriment en utilisant cette nouvelle discipline. Comme le vitrail, le Gemmail utilise aussi la lumière à travers la transparence du verre de couleur. Mais alors que le vitrail jouit  de la lumière naturelle, le Gemmail quant à lui ne bénéficie que de la lumière électrique.

Par contre   le Gemmail, en plus de la superposition de fragments de verre, ne nécessite pas  le sertissage de plomb comme pour le vitrail.  Et se rapproche également  beaucoup  de la peinture par la richesse des couleurs, les subtilités et les matières obtenues.

Cocteau  se passionne alors   pour "l'esprit qui habite le Gemmail". Enthousiaste le poète énonce de profondes vérités dont: " Ecrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture" ou encore : " Il n'y a pas d'amour. Il n'y a que des preuves d'amour".

En 1957 une grande exposition de Gemmaux est alors organisée à la grande Galerie à Paris par Jean Cocteau  avec ses œuvres et également celles de Picasso et de Braque.

Braque déclare suite à cette exposition : " Si j'avais trente ans, je serais le Gemmiste Braque". 

De même selon le Commissaire de l'exposition : "Picasso fut conquis par cette lumière qu'il avait toujours recherchée, il retrouva en ces jeunes gemmistes durant les trop courtes saisons où il les rencontra quasi journellement, tout ce qu'il avait le plus  aimé en cette période bénie de l'enfance dont il fut nostalgique toute sa vie. "Un art nouveau est né, les Gemmaux "s'écria-t-il …".

 (Hughes de la Touche).

Et pour Cocteau ce qui l’enchante c’est cette chair de lumière réalisée grâce à toutes ces superpositions de verre. 

Ce moyen d’expression le grise car il trouve un chemin de lumière par ce rayonnement qui traverse le volume coloré.

Ainsi la tête d’Orphée décapitée reposant sur sa lyre qu’il réalise grâce à cette technique du gemmail fait éclater des couleurs étonnantes.

Le visage tout entier du poète thrace baigne dans les bleus les plus profonds côtoyant ici et là  les jaunes les plus vifs. Ce chromatisme puissant et contrasté conduit à restituer une seconde vie à ce personnage bien que définitivement mort, ne lui restant plus que sa tête…!

Et c’est là tout le génie de cet audacieux  créateur utilisant à merveille cette technique du Gemmail: on  a l’impression de voir Orphée dormir d’un profond sommeil ou  vivre tout simplement  déjà dans l’au-delà.

L’on songe bien évidemment à ce poème écrit par lui :

« Dieu qu’un visage est beau lorsque rien ne l’insulte

Le sommeil copiant la mort,

L’embaume, le polit, le repeint, le resculpte

Comme en Egypte ses dormeurs d’or »

(J. Cocteau, Un ami dort in Romans, Romans, poésies, poésie critique, cinéma p.403)

C’est donc bien le « nouveau visage de cette beauté » dont parle Cocteau fasciné surtout par l’esprit dont elle était habitée. Ainsi les morts et plus largement le monde invisible entreront désormais en communication avec ce poète.

Après avoir exercé ses talents dans une technique dérivée du vitrail, Jean Cocteau va tout naturellement s’investir par la suite dans le vitrail. Lui qui se définit à l’exemple d’Orphée comme un hiérophante du soleil (Orphée, 1926) il va contribuer avec d’autres artistes de renom au renouveau du vitrail français contemporain.

Selon Michel Parent ce renouveau des vitraux dans les églises et cathédrales correspond à une sorte de théologie en acte permettant de « célébrer la lumière et le lieu, à magnifier l’espace qu’ils cantonnent, à «  contemporanéiser » l’architecture dans laquelle ils prennent place. ». Et cette réussite, il la perçoit notamment dans cette fécondité issue de ce dialogue entre le verre et la pierre. 

C'est pourquoi dans les dernières années de sa vie, Cocteau s'intéressera à certains édifices religieux qui vont devenir   de véritables écrins pour ses sublimes et ultimes créations.

Après avoir vitré les trois baies de la Chapelle Saint Blaise des Simples à Milly la Forêt (en 1959), ce polygraphe génial va faire exploser l’année suivante tout  son art du vitrail dans l’église de Saint Maximin à Metz. 

Il réalisera au total 14 baies vitrées dans ce lieu  et le résultat est fulgurant de beauté et d’originalité.

Tout son travail  participe à célébrer et à magnifier la simplicité gothique des lieux grâce à un jeu subtil de lumières rendu possible par la poétique géométrique du verre. Il a un don   incomparable pour marier les formes géométriques et florales avec des événements souvent liés à la mythologie antique.

L’originalité de cette création est incontestable. Cocteau est inclassable car il peut-être à la fois  moderne et néo-classique, révolutionnaire et réactionnaire.

En 1962, il exécutera  des maquettes de vitraux pour chapelle  Notre Dame de Jérusalem  à Fréjus dans le Var. Mais ces vitraux  ne seront réalisés et posés qu'ultérieurement après sa mort.

Or si Cocteau a pu réaliser son travail en l'église de Saint Maximin ce n'est qu’un pur hasard puisque initialement il projetait de doter la cathédrale de Metz de ses œuvres. Mais Cocteau dérange, ses maquettes font preuve de trop  d'audace  et c'est pourquoi il n'a  pas été retenu pour ce prestigieux édifice.

De fait les cathédrales demeurent encore trop souvent éloignées de l'art contemporain. C'est la raison pour laquelle les grands créateurs ont souvent privilégié des lieux plus confidentiels et plus discrets que les cathédrales.

Ainsi Georges Braque dans la chapelle de Varengeville, Manessier aux Bréseux et à la chapelle de Hem, Fernand Léger à l'église du Sacré-Cœur d'Audincourt 

Comme tous ces artistes d'avant-garde Cocteau a l'art de déranger et il en a conscience puisqu'il dit de lui-même:

"Si j'écris je dérange. Si je tourne un film je dérange. Si je peins, je dérange. Si je montre ma peinture, je dérange, et je dérange si je ne la montre pas. J'ai la faculté du dérangement. Je m'y résigne, car j'aimerais convaincre. Je dérangerai après ma mort." (Journal d'un inconnu, années 1950). 

Malgré cela et grâce à l’impulsion énergique et éclairé de l’architecte Robert Renard, Chagall a pu réaliser néanmoins des vitraux pour la cathédrale de Metz. En fait  des peintres comme Jacques Villon et Roger Bissière avaient déjà ouvert la voie par leur style particulier sur une partie des verrières de la cathédrale. 

Chagall  a su quant à lui imprimer sa vision mystique en utilisant  cette matière, le vitrail pour capter la lumière : « une chose mystique qui passe par la fenêtre. ».

 

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