L'originalité du travail de J. Villon à Metz

L’originalité du travail  de Jacques Villon à Metz.

Jacques villon    

La commande des cinq baies vitrées de la cathédrale Saint-Etienne de Metz vient à point nommé pour parachever un cheminement artistique  déjà bien avancé  par ce grand peintre cubiste. Elle va  lui permettre de synthétiser dans cette œuvre verrière toute la quintessence de son art.

Par ailleurs les cinq  fenêtres,  pour lesquelles il a été sollicité,   illustrent pour chacune d'entre elles, et en allant de gauche à droite, les événements suivants empruntés à la Bible:

1)   L’Exode (ou la Pâque, l’Agneau Pascal)

2)   La Cène

3)   La crucifixion

4)   Les noces de Cana

5)   Le rocher de l’Horeb

 Les cinq baies

      

L’originalité de son travail à Metz :

1) La vision pyramidale ou triangulaire des récits et le recours  au chiffre symbolique "3":

Les récits suivent  un schéma triangulaire, tout particulièrement  celui où  le sommet correspond à la crucifixion et la base formée, à gauche, par le récit de l’Exode  (la sortie d’Égypte du peuple juif) et  à l’extrême droite par la fuite en Egypte de l’Enfant Jésus. Ce dernier événement s'analyse en fait comme un retour en Egypte et par conséquent permet de conclure ou d'équilibrer la narration.

Pour  réaliser ce schéma triangulaire, Villon a  même dû modifier volontairement le cinquième récit (le rocher de l’Horeb) pour y inclure notamment   l’épisode de la fuite en Egypte de l’Enfant Jésus comme indiqué précédemment.

Le triangle                                                            

D’autres récits épousent également des formes  triangulaires  avec parfois un sommet différent et surtout ils se singularisent tous par  la référence constante au chiffre "3":

- Le 3 ° jour qui fait débuter les noces de Cana, les 6 jarres de cette même noce (multiple du chiffre 3) et les 3 positions du bois :verticale (le bâton  porté par les juifs lors de l’Exode), verticale/horizontale (la croix) et  seulement horizontale (le bâton de Moïse au mont de l’Horeb). La lance dans la crucifixion met aussi en relation  3 personnes: le crucifié, le soldat et le spectateur.

- Les formes triangulaires omniprésentes dans les vitraux permettent de creuser et de construire une profondeur créant ainsi   une porte ouverte vers un espace extérieur ce qui  a l'avantage aussi de provoquer   une impression de vitesse et de mouvement.

- Le recours aux trois couleurs primaires : le bleu, le jaune et le rouge. Notamment dans la Cène (le dernier repas) : l’artiste réussit à créer une sensation d’harmonie par ces oppositions de couleurs primaires (thèse/antithèse, symétrie/asymétrie) opposant la couleur froide du bleu qui éloigne aux couleurs chaudes comme le jaune et le rouge qui rapprochent.

 Les trois couleurs

                                                  

2) Le travail cubiste illustre parfaitement le thème de la Passion qui débouche sur la résurrection.

Le cubisme est une entreprise de déconstruction de l’art ancien  afin de faire naître un art nouveau (l’art contemporain). En cassant les codes de l’ordre ancien, il permet  d’insuffler une nouvelle direction et  de créer un nouvel espace qui n’avait jamais été emprunté par l’homme.

De façon similaire  la passion du Christ qui passe aussi par  une mort,  va déboucher sur une nouvelle vie et proposer une nouvelle direction.

Tout particulièrement dans la baie vitrée relatant la Cène ou celle de la crucifixion, Villon nous montre un Christ pratiquement invisible à nos yeux, qui fait l’expérience de la mort, avec un corps mortifié…comme taillé en pièces  sous l’action d’objets acérés et géométriques.

Tout cela pour nous conduire ensuite à une nouvelle naissance, à l’homme nouveau, l’homme ressuscité (au 3 ° jour !)  et une nouvelle Alliance entre l’homme et Dieu !

3) La crucifixion (la 3° baie…encore le chiffre 3 !) source et sommet de l’œuvre vitraillère de Villon :

Le travail de Jacques Villon sur la crucifixion va révéler au moins deux faits essentiels :

-       la perspective de la lance

-       la chaîne syntagmatique de la croix

1) La perspective de la lance :

Jacques Villon s’est inspiré de l’évangile de Saint Jean. Pour la lance qui perça le côté de Jésus, cet évangéliste est le seul qui en parle (Jean 19, 31 à 37).

Comme Pierro della Francesca avec ses fresques sur la découverte de la Vraie Croix, Villon reste toujours et avant tout un peintre mathématique.

Dans ce vitrail, la perspective qu’il met en évidence grâce à la lance que porte le soldat et qui traverse le Christ est une vision qui nous traverse nous-mêmes également en profondeur, un axe « déictique », c’est-à-dire un axe qui sert à démontrer quelque chose.

Selon Rosalind Krauss, cette perspective « est construite sur un vecteur qui relie le point de vue au point de fuite » (R.Krauss, « La matrice de LeWitt » dans Sol LeWitt, ouvrage publié par le Centre Pompidou Metz, 2012).

Cette lance est devenue le vecteur qui traverse toute la baie de manière diagonale. Elle transperce le Christ par le haut et également le spectateur par le bas (le point de fuite). Ainsi ce vecteur permet la liaison  avec le divin par l’intermédiaire du Christ transpercé.

L’axe « déictique » nous isole, prend à part chacun d’entre nous, comme un « maintenant » et sur un lieu précis comme un « ici », toujours selon Rosalind Krauss.

Au sens structuraliste, ce récit débouche sur une parole en tant qu’événement vécu en direct.

Les dimensions du temps et de l’espace semblent s’estomper. Nous sommes dans un ailleurs  indéfinissable, celui de la transcendance.

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2) La chaine syntagmatique de la croix :

D’autres significations portant sur la relation axiale et la crucifixion peuvent être évoquées et mises en évidence.

Rosalind Krauss le fait déjà remarquer dans l’ouvrage précité :

« L’histoire de la croix suppose une chaîne syntagmatique – de même que, dans le cours de son histoire, elle subit avant la Passion sa quadruple transformation d’arbre de la connaissance en branche d’arbre, puis en poutre, ensuite en pont, pour finalement se transformer en croix de la crucifixion – préfigure déjà le sens que va prendre la croix elle-même, investie de valeurs paradigmatiques qui la portent à des niveaux de signification cosmologiques et allégoriques. 

Car Saint Augustin explique bien que les axes de la croix définissent les quatre dimensions du monde, et parce que ces dimensions sont déterminées par la Passion. »

Dans cette chaine syntagmatique de la croix et sur les différentes transformations du bois, il y a lieu d’inclure bien évidemment le bois du bâton porté par les juifs lors de la sorti d’Egypte (L’Exode), le bois de la table du dernier repas (La Cène) mais enfin également le bois utilisé par Moïse pour frapper le rocher du mont Horeb (la cinquième baie).

Villon a savamment orchestré toutes ces différentes transformations ou utilisations du bois pour nous amener à ce bois ultime qui est la croix, à la fois objet de torture et de salut.

Cette même croix pouvant être considérée comme le résultat ou la synthèse des différents récits narrés dans les autres vitraux et donc devenir source et sommet des cinq baies !

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L’artiste semble affronter le désenchantement du monde par une œuvre musicale. On a parlé à juste titre d’un chant pascal. Une expérience identique à l’illumination grâce à la luminosité resplendissante du premier jour comme celui du premier matin du monde.

Vous pouvez directement acheter ce livre sur le site de l'éditeur:

 

http://www.editions-des-paraiges.eu/magasin/page44.html