SEIZE, le visible et l'invisible

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SEIZE , le visible et l'invisible.

Article paru dans le Nouveau Cénacle :

 http://lenouveaucenacle.fr/peinture-seize-le-visible-et-linvisible 

Seize fait partie de ces jeunes artistes qui contribuent à perpétuer le renouveau de la   peinture française à la suite de leurs aînés qui ont pour noms Jacques Villeglé, Gérard Zlotykamien et Jean Faucheur.

Comme eux également  ce peintre se reconnaît  dans l’art urbain. C’est pourquoi il travaille en alternance   entre son atelier et  la rue, notamment    sur les murs et les façades d’immeubles.

De plus  ce que réalise ce créateur  en étonne plus d’un. D’ailleurs un ouvrage récent qui lui est consacré  n’hésite pas à le présenter  comme un être « extra ordinaire » c’est-à-dire hors normes (Seize Happywallmaker, Critères Editions, collection Opusdélits, 2010, p.6)

D’où la nécessité   pour parler de son travail de « crever la peau des choses » selon la formule du poète Michaux afin de revenir « aux choses mêmes » dixit Husserl.

Certes Seize n’a jamais revendiqué la poursuite d’un projet philosophique.

Autodidacte, il n’a  rien d’un illuminé.

Pourtant  si son œuvre surgit inconsciemment de son imaginaire ou de ses « tripes », paradoxalement elle offre à voir  une démarche qui déborde souvent le sens commun.

D’où la nécessité  de la décrypter différemment à l’aide notamment  d’une philosophie figurée  de la vision c’est-à-dire dans ce qu’elle donne à voir et à penser  selon les propres termes de  Merleau-Ponty

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Faire ressortir la ligne et le dessin en tant que tels

D’emblée son œuvre fournit une explication dans le rapport qui existe entre  ligne et langage. Permettre la formation de signes à la fois simples et complexes pour fixer des significations !

Ainsi les différentes formes, que l’on découvre  dans ses constructions labyrinthiques (les circuits, les itinéraires et  autres interconnexions), rappellent les schémas du langage actuel. Ce sont notamment les réseaux de communication avec principalement la toile du net qui s’étend par des ramifications multiples.

Mais le géométrisme et le caractère apparemment  « mécaniste » de l’œuvre ne sauraient faire oublier les sentiments du créateur. L’œuvre est avant tout un véhicule puissant  d’où transitent les émotions de l’artiste.

Loin d’un travail formaliste, sans contenu, Seize apporte au contraire  son vécu avec ses inquiétudes,  ses  sensations mais également ses intuitions.

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« Oui je pars toujours d’une esquisse. Je ne sais jamais où je vais aller, je suis mes images mentales dans une sorte d’écriture automatique…C’est de l’impro’ Je pars souvent d’un « œil », c’est-à-dire d’un cercle, ou d’une pyramide…Je me laisse aller aux circuits des lignes, aux espaces des formes […] je vise l’aérien, l’aération…» (Seize Happywallmaker, ibid., p.47)

En cela il donne raison à Greenberg pour qui : « la qualité d’une œuvre d’art est inséparable de son « contenu » et vice versa, la qualité est le « contenu ». Et donc il ne s’agit nullement d’une œuvre formaliste, sans âme !

A la recherche du Moi

C’est aussi la raison pour laquelle l’artiste participe à l’expression métaphorique du Moi. En effet cette quête du Moi   reste la préoccupation dominante d’un art pleinement post-expressionniste.

La voie avait été ouverte par l’art urbain  grâce aux tags et inscriptions murales qui ont permis de valoriser le Moi par l’importance accordée à la signature.

D’ailleurs Seize lui-même,  n’échappe pas au phénomène   lorsqu’à Sarcelles où il  vécut, il vit pour la première fois depuis  sa fenêtre un super graff.

 « …Je ne connaissais d’ailleurs pas le mot qui désignait ce genre d’expression. Quelle claque ! Cette  fresque de Dark aka « amour » est en fait le premier beau graff de Sarcelles. Comme par hasard, c’était en bas de chez moi ; un signe ! » (ibid. p10)

Et  comme cadeau, l’artiste graffeur Dark  lui offre même  un de ses lettrages : « Seize* ». Avec un blaze tout neuf  le voici donc prêt pour l’aventure !

(*Par la suite il va compléter son nom d’artiste Seize par Happywallmaker, surnom que lui ont donné les membres d’un groupe d’artistes hollandais.)

Cela explique aussi pourquoi son œuvre peut se lire et se comprendre comme une véritable extériorisation de son Moi.

Notamment une œuvre qui se laisse découvrir comme la mise en relation avec d’autres Moi. Et donc  en rejoignant d’autres consciences cela pourrait expliquer toutes ces interminables connexions ?

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D’où  la nécessité aussi  pour cette œuvre de se morceler afin d’entrer en relation avec autrui. Cela rappelle bien évidemment Merleau-Ponty qui dans sa Phénoménologie de la perception a mis en évidence deux perspectives distinctes, le Pour Soi et le Pour Autrui.

Ce faisant Seize élabore un réseau de perspectives qui débordent l’oeuvre  et crée  ainsi un « horizon »  à la fois intérieur et extérieur à celle-ci. C’est pourquoi également le spectateur est  convié à sa création grâce à la transivité de la relation qui  lie celui qui regarde et le monde qu’il habite.

Une extension de la synthèse corporelle ?

Mais en allant plus loin encore et bien au-delà des réseaux et des connexions,  on pourrait  même imaginer la totalité de l’œuvre comme  un corps dématérialisé ? L’œuvre de Seize comparé à un corps vivant qui viendrait en quelque sorte s’intercaler entre l’être en soi et l’être pour soi ?

Une telle éventualité semble a priori  contraire à la conception de l’être.

« Il y a deux modes de l’être et deux seulement : l’être en soi qui est  celui des objets étalés dans l’espace et l’être pour soi qui est celui de la conscience » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, coll. Tel, 2013, p.406)

Pourtant Merleau-Ponty semble l’envisager lui-même  lorsqu’il parle d’un troisième genre d’être.

« En même temps que le corps se retire du monde objectif et vient former entre le pur sujet et l’objet un troisième genre d’être. Le sujet perd sa pureté et sa transparence » (ibid. p.407)

Cela  saurait-il expliquer l’absence d’une figuration dans toutes les œuvres de Seize ?

Ou faut-il le comprendre comme Cézanne à qui on adressait le même reproche: « l’homme absent, mais tout entier dans le paysage » ?

Et par conséquent sous forme d’une présence-absence que le peintre le convoque  dans son œuvre. « L’art serait alors une naissance continuée et nous révélerait que notre présence à soi et notre présence au monde sont indissociables. Le tout de l’être est là, à portée de regard et de respiration…» (Michel Ribon, dans Cézanne d’un siècle à l’autre, Ed. Parenthèses, 2006, p.31)

Pris dans ces réseaux de connexion, dans ces flux de lumière  de couleurs vives, dans ces formes qui s’épousent et s’entrelacent, l’être nous serait révélé par cette  vision particulière de Seize ?

Et donc toute l’œuvre de ce peintre ne serait en définitive  qu’un long  frémissement de l’être !

La vertu génératrice et unificatrice de la couleur

Chez Seize tout particulièrement la couleur   permet    l’unité du Tout.

Comme l’affirmait déjà Cézanne à Emile Bernard : « Le dessin et la couleur ne sont point distincts. Au fur et à mesure que l'on peint, on dessine ; plus la couleur s’harmonise, plus le dessin se précise. Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. »

Seize est conscient que l’énergie de la couleur le dépasse. Il reconnait que Niki de Saint Phalle pour les couleurs vives et pures et Vasarely pour l’art cinétique ont toujours retenu son attention et guidé ses premiers coups de pinceau.

Mais en fait  il « ne vise pas l’effet optique, il cherche les faits cosmiques. Il réussit en 2 dimensions tracées, par de simples aplats colorés, à nous faire entrer dans la 4°. Son travail vise…la « communion » plus que la sensation. » (Seize Happywallmaker, ibid., p.15)

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A ce titre, le travail de Seize illustre ce que disait déjà  Merleau-Ponty sur la couleur. Selon le philosophe, elle est solidaire d’un certain nombre d’éléments.

« Claudel dit à peu près qu’un certain bleu de la mer est si bleu qu’il n’y a que le sang qui soit plus rouge. La couleur est d’ailleurs variante dans une autre dimension de variations, celle de ses rapports avec l’entourage.

Ce rouge n’est ce qu’il est qu’en se reliant de sa place à d’autres rouges autour de lui, avec lesquels il fait constellation, ou à d’autres couleurs qu’il domine ou qui le dominent, qu’il attire ou qui l’attirent, qu’il repousse ou qui le repoussent. » (Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, coll. Tel, 2010, p.172)

De même Seize utilise parfaitement les effets de couleurs selon leur situation dans le réseau. « Plus la couleur est proche, plus elle est foncée et plus on s’éloigne et plus elle devient claire. »

Sa peinture a par ailleurs une portée sociologique. Comme il l’affirme lui-même, elle a le don de rassembler à l’image  des différentes communautés qu’il a côtoyées à Sarcelles. Dans la multiplicité des couleurs, il faut y voir aussi  la recherche d’un équilibre et un fort  désir de rassembler et d’unifier.

Même le bleu de Prusse que l’artiste affectionne tout particulièrement avec son côté noir, inquiétant et profond, c’est encore et toujours une cristallisation momentanée de l’être que sa peinture ne cesse d’honorer !

Christian Schmitt


N.B. : - le site de Seize : http://seizegraff.free.fr/

          - Galerie Mathgoth (où sont exposées les œuvres de l’artiste)

            34, rue Hélène Brion

            75013 Paris ( http://www.mathgoth.com )