Antoine STEVENS, le cri

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Antoine Stevens, ce jeune peintre, né en 1987 et originaire du Nord, a fait du cri le thème majeur de sa peinture et cela depuis au moins deux ans.

( article dans le Nouveau Cénacle http://lenouveaucenacle.fr/peinture-antoine-stevens-le-cri )

Il justifie ce choix singulier en ces termes :

« C’est un sentiment personnel, un besoin que j’ai d’extérioriser ce que je ressens. Il s’agit à la fois d’un cri de peur parfois, un cri de rage et d’espoir mais aussi le cri d’une situation, celle de l’artiste, celle d’un jeune qui s’accroche et qui ne lâchera jamais, le cri d’une génération qui est la mienne. » Une telle revendication n’est pas nouvelle dans l’art. Bien évidemment on peut rapprocher le travail d’Antoine Stevens avec le célèbre « Cri » d’Edvard Munch. C’est grâce d’ailleurs à ce même peintre norvégien que l’on peut  affirmer que l’angoisse rend créatif mais aussi qu’elle possède une  vertu divinatoire.

Cette  faculté d’entrevoir des événements tragiques on la retrouve bien présente  chez Munch mais  également chez Ensor. Leur   peinture semble étonnamment   inspirée d’une voyance hallucinatoire des catastrophes à venir. Ainsi de façon prémonitoire,  ils ont pu pressentir  par leur délire pictural les affres du   premier conflit mondial qui allait  dévaster  la vieille Europe.

A priori rien de tel chez  Antoine Stevens. Dans son travail, il s’agit plutôt de trouver un sens à sa vie  d’où  ce cri de rage contre toutes les formes de frustration générées par la société actuelle. Son œuvre « donne à voir et ressentir des cris de colère, de rage, de lassitude exacerbée…d’envie de vaincre et de traverser le mur du temps. » (Julie Costa). Et l’on peut même observer une connotation positive dans sa démarche par rapport à celle des peintres expressionnistes. En effet  les artistes  du siècle dernier ne voyaient  la vie que comme une danse vers la mort  alors   qu’Antoine Stevens semble toujours  garder espoir.

Toutefois, ce jeune créateur nordiste est loin d’être un peintre nombriliste, exclusivement préoccupé par son infortune. En réalité  Il dévoile en creux une crise morale bien  profonde, un désenchantement qui ne cesse d’harceler la conscience de l’homme contemporain.

C’est en cela qu’Antoine Stevens rejoint les  expressionnistes  et au-delà tous ces créateurs les plus actuels  qui comme des aventuriers nous permettent de percevoir  un phénomène sociétal d’une certaine ampleur. Par ailleurs son travail semble conforter l’analyse de Bernard Bro qui  dans son livre « La beauté sauvera le monde » fait un constat sans détours et sans ambiguïté  sur notre condition : l’homme actuel est confronté à l’épreuve de la solitude.

Après les drames d’Auschwitz, ni les idéologies, ni la science ne permettent de donner à l’être humain une existence authentique de bonheur. Par ses différents  cris, cet artiste  apporte donc son   interprétation personnelle.

Mais en mêlant  cris d’horreur et cris d’espoir, il réussit en fait à concilier les deux  à la fois ! Les différentes bouches qui s’ouvrent comme accolées  en bande conduisent à créer une onde de choc chromatique qui génère un sentiment de panique. En revanche les yeux de certains  personnages semblent étonnamment  briller ? Antoine Stevens réussit merveilleusement à traduire picturalement des sensations diverses et contradictoires. Il concentre la figure humaine et la soumet au prix de la déformation à sa volonté d’expression. Comme par magie, il nous introduit dans un monde fantomatique avec des visages comme de  véritables masques qui hurlent de désespoir.

Il utilise à la fois la bombe aérosol et la peinture traditionnelle pour accroître un certain illusionnisme tout cela avec une dose de réalisme savamment calculée. Il n’oublie pas qu’il restera au fond de lui-même un peintre de la rue.

Peintre de l’illusion au service d’une certaine désillusion !

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La palette de l’artiste s’obscurcit parfois (voir l’œuvre ci-dessus) pour laisser apparaître les premiers visages comme s’ils surgissaient des ténèbres.

Mais cette peinture a le don de surprendre car malgré un discours axé sur la désillusion absolue, on croit  entendre  depuis les mêmes profondeurs obscures le chant du  Psalmiste (Ps 138)   qui pénètre jusqu’aux tréfonds de l’âme :

« … « Les ténèbres m’écrasent ! »

mais la nuit devient lumière autour de moi.

même la ténèbre pour toi n’est pas ténèbre,

et la nuit comme le jour est lumière ! »

Souvent le fond de son œuvre  est fait de feu, semblable à de la  terre rouge voire parfois   à de la rouille comme si la passion des ruines l’attirait à la manière d’un Anselm Kiefer ? En réalité il y toujours chez ce peintre le besoin de montrer un monde ensanglanté voire  en  décomposition.

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Par ailleurs comme peintre du mouvement, Antoine Stevens nous émerveille tout autant.

« J’aime décomposer le mouvement de cette expression car j’y vois plusieurs phases différentes dans le cri, et ce mouvement me permet également, je crois, de renforcer ce sentiment.» Effectivement grâce à l’accumulation des têtes qui se bousculent et se superposent partiellement, tout conduit à un effet d’amplification du mouvement. Et donc l’artiste réussit à  faire du mouvement l’objet même de son œuvre. Son travail rappelle  celui des futuristes ou même celui  des frères Duchamp (Gaston l’aîné dit Jacques Villon ou le cadet Marcel Duchamp). Ces deux grands peintres avaient déjà exprimé de manière saisissante dans leurs premières œuvres (Les Soldats en marche pour Jacques Villon et le Nu descendant l’escalier pour  Marcel Duchamp) la synthèse du mouvement par la continuité.

Non content de rappeler et de poursuivre un cheminement aussi prestigieux,  Antoine Stevens réussit également à rendre participant le spectateur lui-même à son travail.  Il joue  sur notre œil et  nous oblige en permanence à parcourir le spectacle des différents cris par des va-et-vient incessants. C’est pourquoi il va très loin dans la fragmentation et la démultiplication des formes afin de produire un effet de simultanéité  et  aussi dans le but évident  d’accélérer le mouvement. Ce faisant il sacrifie en quelque sorte le corps humain au profit d’une représentation quasi mécanomorphe. L’homme dans ce type de représentation semble pratiquement immolé  sur l’autel de la vitesse et du progrès.

Fort heureusement dans cette restitution picturale, la main de l’artiste joue un rôle décisif.

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Comme le signale Bachelard, la main  parle : « Plus la main de l’artiste sera dans tout l’ouvrage apparente et plus émouvant, plus humain, plus parlant il sera ». Et Bachelard d’insister sur la nécessité de « sentir l’homme et les faiblesses et maladresses de l’homme dans tous les détails du tableau. » Cette rencontre, ce combat que se jouent la main et la matière  permet en définitive à l’artiste d’échapper à toute forme d’instrumentalisation ou de réduction de l’humain. De cet affrontement, il en résulte une  métamorphose  de l’ « instant poétique »  en « espace onirique » toujours selon les termes utilisés par ce même philosophe.

Finalement tout l’enjeu de la peinture d’Antoine Stevens  n’est-ce pas justement de nous conduire dans des lieux et des endroits les plus improbables voire les plus mystérieux ?

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