COBRA
Karel Appel, Le Rhinocéros
L’internationale persifleuse
Sous le nom charmeur de Cobra, un groupe de joyeux drilles armés de pinceaux décide, en 1948, d’engloutir tous les –ismes de l’art moderne ; Mission : échapper au règne de la raison.
Le groupe Cobra s’est constitué le 8/11/1948 à Paris, autour d’une table du Café Notre-Dame, à l’angle du quai St Michel et de la rue Saint Jacques et s’est dissous le 6/11/1951 avec la fermeture de l’exposition Cobra au Palais des beaux-arts de Liège.
Une définition de Christian Dotremont, poète du mouvement :
« Cobra ? C’est une histoire de chemin de fer. On s’endormait, on s’éveillait, on ne savait pas si c’était Copenhague ou Ansterdam ou Bruxelles »
Trois capitales de l’Europe du Nord que l’acronyme « Co-br- a » assemble.
Mais cet acronyme renvoie également au règne animal « sa part d’agressivité et d’instinct. Avec aussi un certain sentiment de tendresse pour l’animalité. » (Dotremont)
Cobra est un jeu de mots, un calembour, en tant que signe polyvalent, où conscient et inconscient entrent en composition, sera une caractéristique de l’esprit Cobra.
Calembours visuels, comme dans telles peintures de Jorn, où Dotremont découvrit « la forme de son Jylland natal, la tête d’un lutin et une sorte de grand phallus. »
Le manifeste de Cobra consigné par Dotremont et son ami Noiret, par les Hollandais Appel, Constant et Corneille, par le Danois Asger Jorn (Alechinsky ne rejoindra Cobra que l’année suivante, en 1949). Ce manifeste inaugural du Café Notre-Dame était plutôt anti-manifeste. Il marquait la rupture avec le Groupe surréaliste révolutionnaire, jugé trop intellectualiste et parisien.
Les mots clés ici sont « travail » (préféré à « art »), « expérimental » et « international ».
Asger Jorn, Pixilated Garden, 1966-1969.
Face au monde d’art moderne, qui était alors parfaitement chaotique (comme toute l’époque de l’après-guerre et de la guerre froide). Il fallait tout resituer, si ce n’est réinventer. Expressionnisme, abstractionnisme, surréalisme, les trois principaux courants de la création artistique persécutés par les totalitarismes, restaient éparpillés : plus ou moins consciemment, Cobra se voudra leur confluence.
Cobra cherche un art rénové, dans une société aussi rénovée. Pour y parvenir la révolution ! (selon notamment Jorn et Constant). Pour un art matérialiste, au sens marxiste à l’opposé du néoplatonisme de Mondrian ou du spiritualisme de Kandinsky.
Ils prennent leurs distances par rapport aux nouvelles orientations du surréalisme telles que Breton les a indiquées dans Arcane 17 : bien trop irréalistes, et irréalisables, à leurs yeux.
« C’est notre désir qui fait la révolution ! » (Constant)
Corneille, Approche des nuages, 1982.
L’art que pratiquent les Cobra est celui d’une liberté concrète, sans préalable, ni organisation.
Dotremont valorisait tout particulièrement la spontanéité en tant qu’expression de tout l’être, mental et physique. Pas de contrôle conscient, ou le moins possible.
« La pensée créatrice, dit Jorn, s’allume en rencontrant l’inconnu, l’accident, le désordre, l’absurde et l’impossible. »
Si Cobra est matérialiste, c’est dans le sens particulier de Bachelard et de sa phénoménologie de l’imagination matérielle :
« l’imagination qui image directement la matière, qui pénètre les secrets oniriques de la matière » mais pas seulement l’art Cobra, mais en fait aussi Jackson Pollock et l’action painting, Tapies, Novoa et la matiérisme hispanique, Burri, puis les artistes de l’arte povera.
Cobra a bousculé les références classiques de l’art européen et lui a substitué une vision anthropologique, c’est-à-dire globale, de la création artistique ;
Karel appel, Deux têtes
Mais Cobra est allé plus loin, s’il a invoqué les arts premiers, africains ou océaniens (Corneille, Rooskens, Egill Jacobsen), Cobra s’est tout autant inspiré de l’art des enfants (Constant, Appel, Corneille) et comme Jean Dubuffet, grand ami de Jorn, de l’art brut et de l’art des fous.
Il faut encore ajouter les arts et traditions populaires de l’Europe. Jorn, Pedersen, Heerup ont puisé dans l’art des Vickings et le Moyen Age nordique.
Les formes de Cobra sont le produit d’une dialectique de la mémoire et de l’imagination. Dans l’abondance des couleurs vives et des nuancements, dans l’accumulation des touches rapides.
La tension des tracements énergiques, l’intégration des signes venus de l’extérieur comme de l’intérieur de la vue, elles proposent des polyvalences : une anarchie de libertés.
( d’après Téléréma hors série de 1998 – p.38-42)
Pierre Alechinsky, Exercice de nuit, 1950.
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