Bissière creuse le ciel
C’est en 1960, que Roger Bissière réalise les deux verrières des tympans nord et sud de la cathédrale Saint-Etienne de Metz.
Evénement qui à l’époque passa inaperçu alors qu’il signifiait pour la seconde fois l’irruption d’une oeuvre contemporaine dans cette cathédrale.
En effet, après les cinq baies vitrées réalisées par Jacques Villon en 1957 ( voir le l’article dans le Nouveau Cénacle, c’est donc au tour de Roger Bissière, peintre de la nouvelle Ecole de Paris, de marquer sa présence dans ce haut lieu cultuel.
Rien d’étonnant en vérité pour la cathédrale de Metz qui, grâce à Robert Renard (1908-1979), architecte en chef des Monuments historiques avait été la toute première à rompre avec l’académisme ambiant de l’art sacré.
Certes, ce mouvement de faire entrer l’art de notre temps dans les cathédrales avait d’abord été initié par le père dominicain Marie-Alain Couturier qui affirmait dans un article fameux:
« Mieux vaut faire appel à de grands artistes sans la foi qu’à des croyants sans génie. »
Mais la décision d’avoir accepté Bissière est d’autant plus courageuse ici, à Metz, que ce peintre est un artiste non-figuratif s’inscrivant dans la mouvance abstraite.
Et c’est donc bien là une première pour une cathédrale !
Source et sommet de l’architecture de lumière de la cathédrale
Premiers vitraux abstraits de l’édifice, ils insufflent une dimension spirituelle tout à fait inattendue et permettent une heureuse transition visuelle avec ceux du passé.
Placés dans des espaces intermédiaires en dessous des deux tours de la cathédrale (Tour du Chapitre et Tour de la Mutte), ces deux verrières occupent des lieux opposés et complémentaires, l’une est située du côté nord (tympan nord) et l’autre du côté sud (tympan sud).
verrière du tympan nord
verrière du tympan sud
Du fait de leur situation et de leur exposition, ces deux baies vitrées irradient la lumière à l’image de la lune pour le côté nord et à l’image du soleil pour le côté sud grâce à ces deux ouvertures opposées de la cathédrale.
Ainsi ces deux verrières rappellent en quelque sorte les débuts de la Création et ce quatrième jour où apparaissent les deux luminaires au firmament des cieux pour séparer le jour et la nuit:
« …Dieu fit les deux grands luminaires, le plus grand luminaire pour présider au jour, et le plus petit luminaire pour présider à la nuit;… Dieu les plaça dans l’étendue du ciel, pour éclairer la terre, pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière d’avec les ténèbres. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le quatrième jour. » (Gen 1, 14-19)
En nous invitant en permanence à contempler la nuit et le jour, les deux verrières rappellent également la mort et la résurrection.
Bissière avec sa palette de couleurs va nous signifier ces deux mondes. Ainsi la verrière du tympan nord est dominée par les bleus froids évoquant le monde de la nuit alors que le tympan sud célèbre le monde du jour avec ses ocres radieux.
En réalité Bissière, atténue beaucoup ce vocabulaire « dualiste » en apportant par touches successives ses propres atténuations ou dissonances de couleurs.
Notamment dans la verrière nord, les bleus ne sont tous uniformes. Bien sûr, l’artiste utilise abondamment le camaïeu des bleus diurnes. Mais souvent, il alterne cette froideur tonale par des coloris plus doux, voire particulièrement riches, onctueux et veloutés.
Cette symphonie des bleus évoque davantage un monde illuminé, radieux, voire franchement féerique.
Dès lors, ce lieu est loin d’être celui de la pénombre froide et triste, telle qu’on pourrait se l’imaginer.
En définitive toutes ces couleurs pour nous chanter à la fois la mort et la résurrection !
Ce faisant Bissière avec ses deux verrières donne un sens et une orientation à toute l’architecture de lumière de la cathédrale !
Dans la continuité de la montagne Sainte-Victoire
Les deux tympans nord et sud où sont logés les vitraux de Bissière évoquent étrangement par leur forme de « voûte en ogive » le massif calcaire qui domine le pays d’Aix-en-Provence.
Bissière, fervent admirateur de Cézanne a pu lui aussi capter dans les espaces attribuées à la cathédrale de Metz l’ « instant du monde » dont parle Merleau-Ponty à propos de cette célèbre représentation cézannienne.
A évidence, cette figure géométrique possède une connotation de type sacral très marqué. Et cette représentation semble avoir profondément influencé Bissière.
Révélation qui transcende et laisse entrevoir le Tout Autre, l’indicible, l’ineffable que le peintre réussit à célébrer magnifiquement par la couleur.
D’autant que chaque baie vitrée est surmontée d’une rose (ou rosace), véritable couronne lumineuse comme pour symboliser glorieusement l’accession d’un nouveau monde.
Cette « couronne » se retrouve également dans les aquarelles de Cézanne qu’il réalise à la fin de sa vie aux Lauves et qui représentent ses ultimes évolutions de la montagne Sainte-Victoire.
Rose du tympan sud
Ses pictogrammes
Dans son oeuvre souvent énigmatique, Bissière surprend par l’émergence de signes qu’il nous propose de voir, ceux-ci pouvant s’apparenter parfois à des pictogrammes.
Plusieurs évoquent des animaux, des équidés et des oiseaux ou encore un être humain.
Ainsi pour le pictogramme humain, celui-ci de couleur blanchâtre se détache du fond bleu comme s’il surgissait d’un océan ou d’une nuit bleutée.
Probablement une silhouette humaine qui esquisse une génuflexion en signe d’adoration ou de respect ?
De multiples interprétations sont alors possibles: est-ce le premier homme, Adam - qu’on retrouve dans la Tapisserie de Gérone et dont Bissière possède une copie qu’il garde précieusement, et qui se prosternerait devant son créateur ? Ou bien l’Ange de l’Annonciation ?
Mais l’élément le plus troublant vient de la similitude de cette posture très particulière avec celle de la Dryade de Picasso, réalisée en 1908.
Bissière se serait inspiré de ce personnage de Picasso pour capter son mouvement. Par ailleurs Picasso, lui-même, a pris comme modèles l’art et les coutumes africaines.
Dès lors, il n’est pas impossible d’imaginer que cette Dryade effectue une danse sacrée. Celle qui conduirait à invoquer les esprits ?
Le peintre serait alors l’équivalent contemporain d’un chaman utilisant les pictogrammes à la manière d’un totem.
Roger Bissière peintre de « l’infini dans le fini »
Avec ses vitraux de Metz, Bissière nous plonge par la richesse du chromatisme de son oeuvre, au coeur d’une autre réalité, celle que l’on peut déjà savourer par la richesse, l’éclat et le frémissement de ces parcelles lumineuses.
Par la dimension musicale de son oeuvre, il nous fait aussi accéder à l’infini, suivant en cela Baudelaire qui assure que « la musique creuse le ciel » et que le peintre doit faire tenir « l’infini dans le fini ».
Après l’accident de la vue (un glaucome) et sa guérison, Bissière se sent tellement libre qu’il se dégage encore des formes extérieures pour ne réaliser que son désir de poésie…Son besoin d’absolu s’exprime alors dans son art par une spiritualisation du monde grâce à son regard intérieur nourri par la dimension poétique.
« Je n’ai pas voulu faire des tableaux au sens pompeux du mot, mais seulement des images colorées ou chacun peut accrocher ses propres rêves. »
Christian Schmitt
N.B. : L’article sur les vitraux de Roger Bissière de la cathédrale de Metz reprend certains passages de mon livre qui sortira à la fin de cette semaine aux « Editions des Paraiges » juste pour l’ouverture du Salon du Livre qui se tiendra à Metz du 21 au 24 avril 2016.
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