ANGI et VERONESE: au coeur des débats actuels sur le devenir de notre planète.

Alex ANGI et Marco VERONESE:

Au cœur des débats actuels sur le devenir de notre planète.

Angi et Véronese

 

 

Est-ce un signe des temps ou ne s’agit-il que d’une simple coïncidence si les deux peintres du Cracking Art Group, Alex ANGI et Marco VERONESE viennent de présenter, il y a quelques jours, leurs œuvres à Paris ?

En toute discrétion et sans tapage, ils apparaissent pourtant comme les témoins et les acteurs privilégiés d’un moment décisif pour le devenir de notre planète. « Next Steps » (« Les étapes suivantes » en français) qui est le titre de leur exposition est paradoxalement au cœur, selon moi, d'une actualité toute brûlante. 

Ainsi parmi ces « étapes » dont il est fait référence, j'y vois pour ma part et de manière tout à fait prémonitoire, les événements les plus récents de l’actualité mondiale.

En effet le 11 mars 2011, le Japon avait été cruellement touché par de terribles tremblements de terre avec en prime le tsunami. Mais plus grave encore, un nouveau palier plus inquiétant a été franchi, puisque ce pays vit dorénavant dans l’angoisse d’une menace nucléaire sans précédent suite aux dégâts causés à la centrale de Fukushima.

A la galerie Moretti et Moretti (6, cour Bérard 75004 Paris) du 25 mars au 16 avril 2011, ces deux artistes sont par conséquent au centre de ce débat car leurs œuvres ne cessent de stigmatiser ce monde qui court à sa perte.

Le Cracking Group Art fut créé en 1993 à Biella en Italie du Nord. Il s'agit d'un groupe de six artistes dont Alex ANGI et Marco VERONESE qui entendent d'abord être les témoins privilégiés de leur époque et « enregistrer et montrer les faits qui se sont produits ».

Mais au-delà d'un simple témoignage, ils ont écrit un manifeste sans équivoque qui sonne le glas du tout nucléaire et se présente comme une étonnante prophétie sur les événements à venir: « Le monde est en danger. Seul le soleil doit encore servir de source de chaleur. Il faut supprimer tous les autres carburants ».

Or curieusement les matériaux qu'ils utilisent sont à base de plastique qui est lui-même issu du pétrole ? En fait selon eux, il ne s'agit que d'un simple recyclage: « tout le plastique qui pollue la planète, le souhait du Cracking Art Group, c'est de le transformer en œuvre d'art »

Ils appliquent le principe du recyclage. Aucune œuvre n'est donc jetée, chacune est destinée à être transformée en une autre œuvre.

Par ailleurs le nom même de leur mouvement « Cracking » provient d'une réaction chimique qui permet de transformer les matériaux organiques en matériaux synthétiques en pulvérisant les molécules (le Cracking).

Mais tout en dénonçant les dangers des carburants et notamment du nucléaire, ce mouvement reste foncièrement optimiste voire joyeux grâce à leurs œuvres exubérantes et sympathiques.

Leurs nombreuses installations dans le monde (Venise, Bruxelles, Prague, Rome, Paris…) avec des lapins, pingouins, crocodiles, tortues roses, bleus, blancs…participent à cette multiplication « d'objets » dans lignée du mouvement Pop Art.

Un message qui paraît souvent audacieux, voire enfantin, parfois provocateur mais toujours optimiste.

Les Cracking ont choisi l'arme non violente de l'humour et d'une certaine dérision candide pour contrer les menaces du pétrole et du nucléaire. Ils sont dans la lignée d'illustres prédécesseurs comme à leur époque Andy Warhol qui s'était opposé à la bombe atomique et le Pop Art à la guerre du Vietnam.

Mais chaque artiste a son propre apport et son propre style. Ainsi Alex ANGI et Marco VERONESE qui se rejoignent sur les idées communes du groupe ont par ailleurs des approches et des sensibilités différentes.

Alex ANGI

 

Plastic Invasor

Alex ANGI inaugure l'âge du plastique : ce naturel qui se transforme en artificiel, l'organique en synthétique grâce au procédé du cracking.

Cette matière va dans tous les sens, elle a l'air de nous échapper.

Par le jeu des couleurs et de la structure elle-même, Plastic Invasor rappelle les tuyaux d'arrosage du plasticien Bertrand Lavier qui avait fait installer deux fontaines dans les jardins du Château de Versailles en avril 2009.

Mise à part cette explosion de couleurs joyeuses et festives, les formes elles-mêmes de Plastic Invasor font penser aussi à un animal tentaculaire (poulpe) qui déploierait ses multiples bras, sauf qu'ici les tentacules sont beaucoup plus nombreux et vont dans toutes les directions.

L’artiste réalise des formes d’une grande expressivité dégageant une présence plastique sensorielle.

A l'évidence tout cela crée aussi un certain malaise.

ANGI est l’artiste le plus informel du groupe des Cracking Group Art. En s’inscrivant dans l’ « anti-forme », il réalise sa gestuelle la plus personnelle mais aussi la plus sensible. Son œuvre est aussi très corporelle, on a envie de la toucher, de la caresser.

Mais elle inquiète également (voir ses tentacules) car elle est chargée d’un pathos dramatique. N’est-ce pas le signe manifeste d’une prolifération dangereuse et incontrôlée du plastique que l’humanité n’arriverait plus à recycler ?


Nanoland


Avec ANGI on est de plein pied dans la nanotechnologie. Il inaugure des formes qui n’existent pas encore : c’est selon lui, le monde de demain.

Il utilise un langage nouveau véhiculé par l’art du plastique entre naturel et nanoland.

On est dans le recyclage et l’après ready-made de Marcel Duchamp. Il s’agit de contourner Duchamp et de charger le ready-made d’un langage différent. Mais selon les tenants de ce nouveau courant artistique, plus la transformation est forte, plus brillante l’ironie !

En dehors de toute représentation, cet art ne représente rien qu’il « ne soit et réalise lui-même » (Max Imdahl)


Multivers


Avec ces œuvres de formes mouvantes, ANGI fait référence à certaines théories de la physique (la théorie des cordes notamment) mais également à la réalité des mondes parallèles et à l’espace-temps.

L’impression optique est troublante d’originalité. L’artiste crée des formes losangées comme des coussins ou des éponges alvéolées de fibres tubulaires plastiques.

La matière se tord, se plie sous l’effet de tensions internes à l’image des plaques tectoniques des fonds sous-marins créant les tsunamis.

ANGI explore la structure interne des corps et les forces tensionnelles.

Mais au-delà du côté dramatique des effets cataclysmiques de telles forces, le créateur utilise des couleurs d’une grande pureté et d’une force chromatique étonnante. Ainsi les oranges, les jaunes, les bleus et les violets brillent de tout leur éclat.

Ces teintes participent à l’élaboration d’un monde esthétique, façon peut-être de sublimer les énergies les plus violentes et les plus incontrôlées ?

Est-ce par ailleurs le signe d’une spiritualisation par l’art ? Les artistes de l’Arte Povera italien voient, quant à eux, dans le traitement esthétique comme une énergie spirituelle et culturelle.


Alex ANGI (à gauche)

Marco VERONESE

 

Marco Veronese devant une de ses toiles


Selon Marco VERONESE face à des événements historiques et politiques d’une telle ampleur (menaces écologiques et nucléaires), il faut utiliser les symboles très connus comme les formes de la Renaissance pour installer une nouvelle esthétique.

Pour lui, le message est clair : il faut opérer un choix, on continue ou on arrête de s’autodétruire. C’est pourquoi il montre le chemin d’une renaissance, d’une régénération.

Bien entendu son art ne conduit nullement à répéter ou à copier les maîtres de la Renaissance. Il emprunte seulement par le traitement photographique certains portraits à Raphaël, Léonard ou Bronzino.

Par ces visages, il signifie la beauté éternelle et immuable de la vie et les papillons qui survolent ces mêmes visages sont là pour rappeler ce besoin d’une nouvelle spiritualité.

Mais à côté de ces représentations rassurantes, la mappemonde en bleu qui est recouverte partiellement de points de silicone noirs vient nous rappeler aussi les dangers et les menaces qui pèsent sur notre environnement.

La technique des petites billes de silicone était déjà utilisée chez ARMAND. Mais cette texture d’une bille avec une pointe rappelle inévitablement les grandes marées noires d’hydrocarbures.

Par ailleurs l’œuvre est constituée elle-même par différentes plaques qui se chevauchent. L’artiste joue avec la planéité, avec les différents volumes et leur différence de niveau. Tout ce travail dénote des affinités avec celui des artistes du Minimal art et de Sol LEWITT en particulier.

L’artiste utilise une esthétique du langage des matériaux par la logique physique de la stabilité ou du frottement comme c’est le cas ici dans cette œuvre.

Le glissement des plaques nous renvoie à l’instabilité des continents, à leur dérive. Mais face à ces dangers inévitables et d’une grande ampleur, Marco VERONESE nous incite à une réaction à la hauteur de ces menaces par un nouveau dépassement de l’homme et de l’Art.

Et dans le même ordre d’idée selon VERONESE, si l’on ne trouve pas une nouvelle spiritualité, on est également tous perdus.

 

 

L’homme joue un jeu d’équilibre mais c’est toujours dans la main de l’homme que le destin se joue.

Derrière ce spectacle de la mort intégrale, à la fois de la planète et de l’homme (la planète gangrénée par les pollutions d’hydrocarbures et l’homme réduit à l’état de squelette), VERONESE pousse très loin son discours pour nous conduire à un changement radical dans nos façons de vivre.

Mais sa radicalité prend toujours le chemin d’une esthétique incomparable. C’est pourquoi en reprenant une citation célèbre de Dostoïevski, je serais presque tenté de dire que c’est « La beauté (qui) sauvera le monde ».

Certes l’affirmation de Dostoïevski parait l’une des plus insensées qui soient. Pourtant l’exposition qui a lieu actuellement jusqu’au 16 avril 2011 à la galerie Moretti et Moretti des œuvres de ces deux artistes du Cracking Art Group nous donne des vraies raisons d’espérer.

C’est pourquoi je ne peux qu’inciter l’amateur d’art à se laisser étonner par cette rencontre et cette découverte puisque « l’ultime secret proposé à l’homme est peut-être de garder l’esprit ouvert à l’étonnement » (Bernard Bro)

Christian Schmitt

Galerie Moretti et Moretti

6, cour Bérard

75004 Paris

www.moretti-moretti.com

Métro : Saint-Paul

Ouverture :

Du mardi au samedi de 14h à 19h

En dehors de ces horaires, la galerie peut être visitée sur rendez-vous.

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