CHEYCO LEIDMANN

 

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Lorsque  Cheyco Leidmann  capte l’invisible dans le visible.

« Mon art est une thérapie du voir, les gens ne voient plus rien… ». C’est par ces mots que Cheyco Leidmann définit le mieux son art.

Pour lui la technique   est secondaire. La qualité photographique c’est d’abord l’impression qu’il cherche, cette mini-seconde qui permet de lever le voile.

Certes ses 95 pièces présentes à la galerie Moretti&Moretti dans le cadre de l’exposition intitulée « ZettAnakk » sont parfois difficiles à appréhender visuellement.

En effet Cheyco Leidmann n’hésite pas à présenter des êtres marginaux qui sont le plus souvent des drogués, chômeurs, clochards, criminels, prostitués, transsexuels…Images souvent difficiles  parfois insupportables à voir  car elles sont toutes  d’une grande cruauté, imprégnées d’odeurs de sexe, de sang et de fureur.

Or  paradoxalement le   discours de Cheyco est tout autre !

S’arrêter seulement à l’aspect extérieur, en surface des  visuels présents à l’exposition, on risque effectivement  d’échapper à l’essentiel de ce que nous dit cet artiste.

Même le visible, avec ses scènes d’horreur, ne dit rien de l’œuvre elle-même. Le vrai spectacle n’est pas là où nous croyons qu’il est.

En fait le langage qu’utilise ce créateur d’images est commun à tous les artistes des forces sombres et obscures  comme Van Gogh ou un certain Antonin Artaud. Adeptes des sonorités fortes, ils utilisent volontiers leur art comme la foudre ou le coup de tonnerre.

L’intonation devient chez eux une détonation, geste proprement révélateur qui s’en prend au voile, le voile déchiré, la vérité enfin dévoilée !

En adéquation avec beaucoup de philosophes et écrivains  de notre temps l’artiste opère le même constat comme l’écrit notamment Marcel Gauchet (voir son livre « le désenchantement du monde ») de cet arraisonnement des choses par l’arraisonnement des êtres. Cette logique implacable qui conduit à la transformation des choses par la transformation des hommes en choses.

Cela rejoint étonnamment le concept déjà utilisé   par Cheyco lui-même lorsqu’il parle de « toxyttism » pour qualifier la dégénérescence  de l’espèce humaine tant morale que physique.

Et comme Van Gogh, Cheyco ne fait pas de compromis,  le rejet de cette logique esclavagiste de l’homme est sans appel. Il n’y a donc de sa part aucune complaisance avec les images qu’il expose. Il dénonce au lieu d’approuver et « révèle l’importance de l’abîme ».

Hypersensible, il voit l’art comme émotion. Il trouve toujours  derrière la brutalité de ses images et même de la mort et de la misère, une forme de beauté. En fait il casse en permanence les tabous et les canons de l’esthétique.

C’est pourquoi le monde que nous montre Cheyco  semble implacable, irrespirable, toxique. L’enfer sur terre avec ces femmes irréelles, l’une à l’abondante poitrine siliconée, l’autre tirant une langue baveuse et la plupart déformées voire mutilées.

On a l’impression de plus pouvoir s’en sortir à l’image de ce que disait Merleau-Ponty des deux mouvements  tiraillant l’homme contemporain : « celui par lequel le néant appelle l’être et celui par lequel l’être appelle le néant, (ils) ne se confondent pas : ils se croisent. »

(Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964, p.94)

L’artiste est conscient qu’il choque souvent son public mais paradoxalement  il considère qu’il atteint son objectif, dit-il, « quand mon travail réussit à capter l’attention, j’ai le sentiment d’avoir accompli ma mission. »

 Il utilise la force et la violence visuelle de son travail pour montrer l’absurdité de notre époque.

Ce faisant il suit la voie tracée par  Van Gogh qui a dépassé la peinture, pour nous faire passer de l’autre côté, au-delà de la peinture qui ne saurait que peindre. De  même Cheyco   lui aussi nous permet de sortir de la simple représentation photographique qui ne conduirait qu’à créer des images.

C’est pour nous  échapper de cette réalité continue et créer une réalité nouvelle qu’il faut que l’image déclenche l’explosion intérieure.

« Que l’éclair dans la nuit révèle en un instant des paysages jusqu’alors plongés dans le noir » selon Max-Pol Fouchet citant l’œuvre de Wifredo Lam.

A sa manière donc Cheyco Leidmann conduit à réenchanter notre monde actuel.

Sa vision est celle du trip apocalyptique comme il aime le définir lui-même à savoir que l’Apocalypse est  essentiellement révélation.

Révélation de l’indicible, d’une spiritualité différente de la religion, du « new age » et des courants mystiques traditionnels.

Quelque chose plutôt de l’ordre du sacré, qui transcende le quotidien et nous  fait croire à l’éternité.

Mais en dévoilant également  la part d’invisible qui se cache dans ses images, Cheyco nous permet aussi comme Henri Michaux de crever la peau des choses pour montrer comment les choses se font choses et le monde monde.

 

Christian Schmitt

Metz, le 16 juillet 2012.