Le UHU expose au YONO
Le UHU expose au YONO « INTRODUCTION »
YONO Bar
37 RUE VIEILLE DU TEMPLE
75004 Paris (Métro Saint Paul)
Vernissage le mercredi 6 juillet à 19h
Exposition du 5 juillet au 31 août 2011
Némi et Zokatos font partie d’un collectif d’artistes urbains intitulé « UHU », en référence à la célèbre marque éponyme allemande produisant des colles en bâtons et des tubes de colle. Dans ce groupe, il y a également Morac (photographe) et Emé (la narratrice).
Mais plus sérieusement et bien loin d’une simple boutade, « UHU » signifie avant tout une histoire urbaine car nos deux artistes n’ont cessé depuis quelques années de « coller » leurs œuvres dans la rue. Mus par un besoin incompressible de rendre visible leur travail au plus grand nombre, ces deux disciples de l’art urbain ont dû essaimer leurs oeuvres dans de nombreux endroits de la capitale mais aussi dans d’autres villes de province (notamment à Metz en avril 2011, voir le site de UHU : http://www.uhustreeteam.com/ )
Véritables artistes du Street Art, ils investissent l’espace urbain et s’approprient la rue pour en faire leur lieu privilégié d’exposition.
Bien qu’il ne s’agisse bien souvent que d’un geste éphémère et gratuit, leur art signifie par contre une contestation radicale du monde environnant qui tend vers l’uniformité et la banalisation de la vie humaine. Aussi grâce à leur travail, ils nous introduisent dans une autre dimension, un autre univers, c’est pourquoi l’on peut parler d’une « INTRODUCTION » comme l'indique fort justement le titre de cette exposition.
Et de fait ce qui réunit ces deux artistes urbains c’est d’abord une véritable énergie qui les fait vibrer. Une force comparable à un jaillissement d'origine tellurique qui les pousserait à créer des espaces en mouvement comme au premier matin du monde.
"T'air" (technique mixte, 46 x 38 cm)
Chez Némi (voir l’œuvre ci-dessus) cette énergie-là prend parfois la forme d’une vague déferlante qui produit une sensation à la fois étrange et contradictoire, un mélange d'attrait et d'effroi puisque cette œuvre nous introduit dans des lieux inconnus.
Cette vague emporte tout sur son passage.
Bazaine disait : « le peintre ne vogue pas sur un monde bien défini : il participe à sa naissance, mêlé aux profondes racines […] ; bien mieux, sa puissance fait surgir des mondes nouveaux. » (Bazaine Jean, « Interview », Le Nouvel Observateur (Paris), mai 1972)
En balayant tout, l’artiste veut comme un retour aux choses essentielles : retrouver en quelque sorte cette dimension originaire.
Cependant malgré ce fracas, Némi tempère toutefois la rudesse du choc par le lyrisme des formes. Celles-ci épousent avec élégance les mouvements amples et gracieux de la vague.
Les couleurs qu’utilise le peintre contribuent également à atténuer toute agressivité par l’application d’un bleu et d’un brun très atténués. Et pour couronner le tout, on remarque même la formation d’un chemtrail comme s'il s'agissait de traînées blanches laissées dans le ciel par le passage d’un avion supersonique.
Némi appose aussi son empreinte personnelle par l'utilisation d'arabesques discrètes que l’on distingue dans la partie inférieure de son œuvre. Des signes inspirés, semble-t-il, d’un univers psychédélique et du monde de la contre-culture.
Asian delight (technique mixte, 50 x 65 cm)
Egalement dans cette nouvelle œuvre, le peintre s’abandonne pleinement aux mondes oniriques et enchanteurs.
Il nous conduit dans un macrocosme halluciné grâce à cet univers graphique initié par l'emploi de la calligraphie orientale ou extrême-orientale.
Sa peinture est méditative comme « une clairière, trouée de lumière, bordée d’arbres frissonnants et traversée par le passage de l’Etre dans le temps. » (Michel Ribon, « Cézanne d’un siècle à l’autre » - Coll. Eupalinos, Ed. Parenthèses, 2006)
Les arbres dansent joyeusement à la surface du globe terrestre malgré la présence inquiétante d’un nuage prenant la forme d’un dragon chinois. Et d'ailleurs cette même appréhension est renforcée par ce noir sidéral qui tapisse le fond de l’œuvre.
Chez Némi, la calligraphie n’est pas une fin en soi car cet artiste l’utilise à merveille au service de son écriture picturale.
Elle lui permet d’instiller une atmosphère étrange, un monde flottant propre à éveiller le rêve mais aussi une certaine angoisse de l’indicible.
Cette toile laisse affleurer les reflets de mondes insoupçonnés.
« Mammouth » (technique mixte, 100 x 100 cm)
Une calligraphie qui épouse souvent les formes du mouvement.
Sans titre (huile, 46 x 38 cm)
Par cette autre toile, Némi invente une sorte de « primitivisme » par l’appauvrissement des matériaux utilisés.
De manière presque automatique, le pinceau se libère par des sortes d'éruptions de la matière picturale prenant la forme de jaillissements spontanées.
On a l'impression qu'il s'agit presque d’un phénomène géothermique (Les geysers) ou volcanique.
Et plus haut, des giclures de peinture émaillent également la partie supérieure de l’œuvre.
C’est peut-être pour l’artiste sa manière de se libérer de la prédominance de la figuration. Il essaye de trouver un nouveau langage touchant à des territoires plus primitifs.
Les couleurs prennent la forme de sonorités sourdes, sombres, tendant vers le gris et avec seulement au centre de rares accents de tonalités vives comme ce rose qui surgit de manière fort étrange.
Cette œuvre apparait comme les vestiges d’un monde disparu ou à naître.
Par l’absence de sens dans la forme obtuse de la matière, Némi veut nous dévoiler un monde monotone, triste et désenchanté.
Ce faisant il suggère le néant, l’occulte, l’absence et l’ineffable. Et étrangement de tout cela, il ressort aussi une sorte de beauté absolue.
Némi cherche par des œuvres différentes et variées le chemin de son propre territoire et de sa propre identité.
Trouver un nouveau langage et ne jamais se contenter d’une seule et unique forme d’écriture.
C’est pourquoi cet artiste est toujours en recherche, à la découverte de signes comme ceux que l’on découvre sur les murs.
Son idée rejoint celle d’un certain Tapiès pour qui « le mur est un refuge pour tout ce qui est opprimé, réprimé, interdit ».
« Cyclamens Friuli » (technique mixte, 100 x100 cm)
De son côté l’œuvre de Zokatos est également traversée par une énergie de grande ampleur. L’artiste vit dans un état de fébrilité permanente et les labyrinthes complexes qu’il ne cesse d’édifier illustrent les tensions qui l’agitent.
Dans « Cyclamen Friuli », cette oeuvre loin de célébrer ces fleurs des régions fraîches et montagneuses avec leurs belles couleurs de fin d’automne, traduit plutôt une agitation hors du commun de l'artiste.
Pour affronter le désenchantement et l’absence de sens de notre monde, le peintre se révolte dans un combat qui se veut salutaire.
Il se sent porteur d’un message, et considère à juste titre que l’art est le dernier domaine de l’absolu.
D’où cette force qui l’anime pour combattre tous les enfermements, les obscurantismes et les illusions de ce monde et faire éclater cette vérité de l’art.
Véritable gnose des temps actuels, l’art oblige l’artiste à révéler la réalité profonde dans ce monde obtus.
Par conséquent porteur du feu sacré, le peintre mesure la difficulté de sa mission. D'où la peur qui l’assaille en permanence à l’idée de ne pas être à la hauteur ou de ne pouvoir traduire tout ce qui sourd puissamment en lui.
Zokatos est cet artiste de la profondeur et son travail devient en quelque sorte théophanique puisqu’il nous permet d’accéder à l’ineffable et l’indicible.
Ainsi dans cette œuvre « Cyclamen Friuli », le foisonnement de lignes brisées et courbes ceinturées de noir peut être assimilé à cette force d’obscurantisme qui a la tentation de régenter l’espace au détriment de lignes plus libres. C’est pourquoi on assiste à un véritable combat de lignes.
Fort heureusement la vérité intérieure à l’image de cette couleur splendide du cyclamen réussit à s’imposer malgré ce foisonnement de lignes hostiles.
Ce rose pâle éclatant qui provient de cette plante sonne comme la vérité. Mais cette beauté tout comme la vérité reste fragile car elle a besoin constamment de lumière pour s’épanouir.
« La toile en Zucre » (bombe aérosol, 116 x 81 cm)
L’opacité apparente créée par cette jungle de lignes bleues masque une transparence absolue.
Devenues un écran, ces lignes laissent toutefois affleurer les reflets d’une profondeur inouïe. Celle-ci se manifeste par des lignes roses et vertes.
Tout cela renvoie à un monde fascinant et mystérieux, résultat d’une somme de pulsions actives du peintre.
Cette beauté qui sourd de l’intérieur provient de son imagination poétique. Celle-ci n’est ni le fruit d’une anecdote, ni moins encore celle d’une émotion fugace.
Il s’agit effectivement de quelque chose de profond que le peintre tente pudiquement de cacher.
Par ironie, il a même intitulé cette œuvre «La toile en Zucre ». Mais il ne peut nier que celle-ci relève davantage de l’illumination et non uniquement d’un savoir.
L’œuvre résulte aussi d’un dynamisme linéaire où se lisent les effets d’une concentration formelle fortement intériorisée.
Zokatos a cette façon originale d’utiliser les lignes de couleur pour structurer l’espace. Tout cela rappelle d’une certaine façon les peintres cubistes. Mais au lieu des lignes courbes, ces peintres du début du XX° s. utilisaient davantage les lignes brisées et la géométrie.
Et puis sans conteste, cette œuvre fait penser aussi à la jungle (1942) de Wifredo Lam que Max Paul Fouchet qualifiait de « poème barbare, monumental et superbe. »
Effectivement cet enchevêtrement de lignes rappelle la savane couverte de hautes herbes, de broussailles et d'arbres et l'esprit qui anime Zokatos semble rejoindre étonnamment celui de Wifredo Lam.
Indéniablement, il existe une réelle excitation poétique comparable entre ces deux peintres.
Le fait le plus troublant c’est que pour la représentation de cette jungle elle-même, il s'agissait aussi pour Wifredo Lam de la vision des plantations de cannes à sucre.
Le parallèle est d'autant plus surprenant puisque le titre de l'œuvre de Zokatos se réfère au sucre. D'où l'idée que ses lignes pourraient également faire penser à une forêt de tiges annelées de cannes à sucre ?
A l'évidence tout cela semble peu probable, par contre il est indéniable que la peinture reste un lieu unique de résonances magiques.
C’est pourquoi tous ces signes symboliques, étranges et ésotériques, il faut les recevoir et les accepter. Non pas nécessairement les comprendre, peut être seulement les éprouver telles des incantations comme le précisait fort justement le même Max-Pol Fouchet.
« GENEZE » (bombe aérosol, 100 x 100 cm)
Avec « GENEZE », Zokatos semble obscurcir l’espace du tableau par ces lignes noires envahissantes, laissant peu de place à d’autres lignes, à d’autres couleurs.
Cette volonté d’obscurcissement correspond peut être à une volonté de destruction, avant l’émergence d’une autre réalité, d’un nouveau monde ?
Paysage précédent le big-bang dans la nuit totale d’avant l’explosion et le début de tout ?
Ou peut-être l’image d’un monde voué à sa destruction et au silence ?
Plus ce monde est effrayant, pensait Klee, plus l’art est abstrait.
L’absence de sens et la force obtuse de la matière conduisent à suggérer le néant et la contemplation du tableau devient alors l’expérience de l’obscur et de l’ineffable.
L’amour du « noir » chez ce peintre prend la forme d’une puissance d’anéantissement et de dépouillement.
Créer un « chant magnétique » où tout se focalise comme apparition et destruction, vide, néant et lumière : promesse d’un nouveau monde et destruction de l’univers.
L’œuvre possède une sonorité sourde, puissante et aveuglante.
« Un petit tour » (technique mixte, 100 x 100 cm)
Par des collages insérés dans l’œuvre, qui proviennent de photos découpées de journaux et hebdomadaires, Zokatos veut inscrire les traces de l’écriture du temps et charger la matière de la mémoire.
Cet artiste de la profondeur n’oublie pas l’aspect ludique de son travail ainsi que toute son expérience de la rue. Le titre de l’œuvre (« Un petit tour ») est comme un clin d’oeil vis-à-vis de cette réalité qu’il ne saurait oublier.
Mais l’accident ou la spontanéité est constamment domestiqué et retravaillé par lui.
Chez ce peintre, la main joue toujours un rôle décisif comme le signale Bachelard : « Plus la main de l’artiste sera dans tout l’ouvrage apparente et plus émouvant, plus humain, plus parlant il sera. »
C’est pourquoi, ce philosophe insiste sur la nécessité de : « sentir l’homme et les faiblesses et maladresses de l’homme dans tous les détails du tableau. »
Il y a toujours cette présence immarcescible de la main du créateur dans ses œuvres, car celui-ci noue toujours une relation physique, voire charnelle avec elles.
Il est présent dans la plus infime rature, dans le signe le plus banal.
La surface picturale semble toujours animée par les formes en demi-cercles qui s’entrecroisent et conduisent à enfermer les parties intérieures de la toile.
Mais ce cloisonnement répond aussi à son désir d’équilibre. Il essaie à chaque fois de résoudre la tension qui oppose les signes et son écriture et répondre inconsciemment à l’exigence formulée par Henri Michaux : « trouver, pour [se] retrouver, pour retrouver [son] propre bien possédé sans le savoir. »
Christian Schmitt, le 24 juin 2011
chri.schmitt@free.fr
de gauche à droite: Zokatos, Némi, Charbel et Christian Schmitt
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