SAME FIGHT
L'exposition « Same Fight », à la Galerie moretti & moretti, avec en tête d’affiche l’emblématique Villeglé et plus d'une dizaine d'artistes va constituer sans conteste l'événement artistique majeur de cette fin d'année 2011.
L'inédit, l'inattendu, voire l'hérésie et la subversion voilà ce que nous proposent - rien de moins - tous ces artistes dans leur combat d'un nouveau genre !
« Same Fight » c’est d’abord un cri qui devient clameur et rejoint ceux qu’éructait déjà à la face du monde un certain Antonin Artaud, les plus fous, les plus beaux, les plus forts pour dénoncer une société où règne le diktat des normes communément admises ou imposées.
C’est pourquoi unis dans un même combat contre toutes les règles imposées d'en haut et sans concertation (la crise financière actuelle en est la parfaite illustration), les artistes présents à cette exposition se positionnent dans une attitude que l'on pourrait qualifier d'anomique.
Déjà en 1949, tel un prophète qui criait dans le désert avec son ami Raymond Hains, Villeglé avait adopté une attitude similaire de récusation de l’ordre social propre à l’anomie. Certes sa démarche paraissait suicidaire aux yeux de certains, mais en définitive elle lui avait permis d'anticiper son époque et de s'ouvrir à de nouvelles émotions tout à la fois étranges et étrangères.
Selon Jean Duvignaud: « l'anomie n'est pas seulement subversive. Plus précisément, elle anticipe sur l'expérience actuelle d'une époque ou d'un type de société et s'ouvre à des émotions inédites, jusque- là inconnues. »
De la même façon qu'avec des mots inédits on revivrait l'innocence primitive dont parlait Paulhan.
C’est donc très tôt que Villeglé rompt avec l’idée que l’on se faisait du créateur et de sa création. Il coupe notamment le lien « individuel » qui unissait le créateur avec son œuvre et faisait de lui le seul responsable du déplacement des matériaux et de leur mise en œuvre.
Par contre en prélevant les affiches lacérées par d’autres, l’artiste va nous « dévoiler le non-sens du tran tran quotidien de nos contemporains » (Cheminements p.53-54). C'est la raison pour laquelle, il qualifie la lacération d’ « activité abhumaine ». Mais toujours modeste, Villeglé ne revendique pas d’autre statut que celui d’un collecteur ou d’un collectionneur !
Il va aussi casser l’image du créateur isolé dans son atelier qui n’exposerait exclusivement que dans des galeries. En fait pour cet artiste « hors norme », la rue est devenue son lieu habituel de travail et aussi très souvent sa propre galerie. Et de justifier ce choix puisque l’effet de lacération ne provient jamais d’un atelier mais toujours de la rue.
Membre des Nouveaux Réalistes, depuis le Manifeste du 16 avril 1960 publié par Pierre Restany (*) , Villeglé a imprimé à son époque et aux nouvelles générations qui vont suivre ce goût d’accéder par différents moyens aux nouvelles approches perceptives du réel. Et tout cela parce que les Nouveaux Réalistes « considèrent le monde comme un tableau » ! (* c'est un texte de Pierre Restany destiné à accompagner l'exposition de mai de la même année à la Galleria Apollinaire de Milan)
Tous ces artistes qui exposent aux côtés de Villeglé vont certes vibrer sur des médiums différents avec leurs propres visions du monde et aussi leur façon toute particulière de le dénoncer. Mais tous partagent en commun un enracinement dans l’art urbain. C'est la rue qui les relie dans un même combat.
Parmi tous ces artistes et dans le désordre, on peut citer d'abord les VLP et Psyckose qui ont débuté leur carrière underground dans les Catacombes de Paris. Par la suite ils ont œuvré en surface en peignant dans la rue, sur les murs et les palissades. Derrière ces créations il existe un sens fédérateur, un besoin fort d’appartenir à une communauté : le mouvement graffiti.
Cependant chaque artiste crée ensuite son propre univers. La tête pixélisée de ZUMAN des VLP est en réalité celle de l’être humain qui possède des enrichissements sans fin.
Chez Psyckose l’univers devient même étouffant comme ce monde urbain déshumanisé hanté par des personnages sans visage, perdus dans la cité. Son style particulier qui possède la dynamique d’un tag avec trois dominantes fortes qui sont selon lui : « un côté brut, art brut, un côté pop art et graphique, et enfin un côté narratif et onirique .»
Parmi les autres pionniers de l’art urbain en France, Jeff Aérosol, est également une figure incontournable. Il utilise parmi les premiers le pochoir comme technique de la rue. Artiste emblématique de la scène parisienne depuis 1985 où il rencontre Miss tic, Blek le Rat, Speedy Graphito, Jérôme Mesnager.
Jeff est passé maître dans l’art du pochoir dans sa façon toute personnelle de restituer l’essence, l’essentiel d’un personnage ainsi que la profondeur et l’épaisseur d’une personnalité grâce à une technique proprement magique.
Konny Steding quant à elle a commencé également sa carrière artistique dans l’underground mais plus spécialement dans les tunnels du métro.
Dans le sillage du « ready-made » de Marcel Duchamp, Konny va par la suite jeter son dévolu sur un objet aussi commun que la poubelle qui symbolise selon elle cette société en voie de désagrégation. Sur une face de la poubelle, l’artiste fera apparaître une figure féminine sous les traits de la Super Star, Edie Sedgwick qui était la muse d'Andy Warhol dans les années 1960.
Toujours parmi les artistes féminins, Miss Tic développe grâce aussi aux pochoirs une originalité tout à fait étonnante. Son œuvre semble être transmutée par une féminité faite de grâce et de poésie. Sa maîtrise du pochoir lui permet sans difficulté de passer du poème au dessin. Une grande dame, une grande artiste !
Olivia Clavel, autre femme prestigieuse, ex-membre du groupe Bazooka, crée un monde fantastique, étrange et souvent angoissant avec des plantes carnivores, arbres parsemés d’yeux et autres spécimens végétaux. Elle a eu des prix au festival de BD d' Angoulême.
Peintre de la couleur, ses teintes toujours plus électriques nous conduisent dans un monde féérique proche de l’Abstraction colorée et de la Figuration Libre.
Du côté des hommes, Dominique Larrivaz nous plonge plutôt dans le monde charnel. Les nus féminins sont omniprésents dans sa peinture. Et pourtant ce que nous donne à voir ce peintre parait souvent éloigné de la beauté sacrée car on y voit plus le grotesque que le sublime, le trivial que le mystique.
En effet le violent barbarisme de Larry se manifeste par ces femmes prostituées, abîmées par la vie et non par des figures sophistiquées épousant les canons de la beauté féminine que l’on retrouve dans les catalogues publicitaires.
Mais étonnamment, il réussit à restituer une profondeur d’âme à ces sujets car il rejette la perception convenue des êtres et des choses.
Autre figure représentative de la scène parisienne, membre du collectif le « Frigo », Paella Chimicos est adepte d’une « Figuration Délibérée ». Il mène parallèlement une activité d’affichiste et de plasticien avec ses personnages à tête de spirale. Ses compositions évoquent l’enfermement par le mouvement circulaire.
Ensuite au sein de la jeune génération du Street-Art, des têtes émergent comme celle de Teurk qui est à la fois artiste peintre, sculpteur, scénographe et performer. Utopiste, il s’interroge sur la place de l’homme dans un monde qu’il a lui-même bétonné.
Mais aussi Lahcen Khedim, autre valeur montante qui transpose dans ses tableaux magico-invocateurs à la manière d'un Anselm Kiefer toute une thématique inspirée des peurs et des angoisses de l'homme contemporain.
Egalement, Zokatos, qui n’a que 27 ans est le représentant des années 2000. Il fait partie du cercle restreint de ces artistes de la rue qui investissent leur art par des formes non figuratives, d’où l’appellation de ses œuvres sous le vocable de « Abztractz ».
Les formes qu’il crée ressemblent étrangement à des labyrinthes ou à des mailles d’un filet empêchant toute sortie hors du cadre. Est-ce l’univers dans lequel vit l’artiste ou celui de l’homme contemporain dans la cité, la banlieue ?
Marchal « Shaka » est également une révélation de la scène parisienne. Artiste plasticien qui intègre de façon unique la 3D dans son œuvre. Cela produit des effets surprenants et inattendus de spontanéité liés à cet accès à un autre espace. On a l’impression que la toile devient le lieu d’un passage entre deux mondes.
Spé intrigue également puisque" investi dans une gymnastique régulière du dessin et de l'illustration, tout en ayant comme catalyseur le graffiti." Il étonne par l'utilisation de nouveaux médiums: encre de chine, acrylique, peinture à l'huile, goudron, diluant. Il nous fait entrevoir un monde fantasmagorique psychédélique.
Autre médium, autre démarche c'est celle du vidéaste Simon Rouby et notamment dans un court métrage « La Marche ». C’est l’histoire d’un homme seul qui marche, seul dans la vie et seul avec la folie humaine…c’est le cercle vicieux où solitude rime avec plénitude…!
Pour terminer cette longue liste d’artistes aussi différents qu'inattendus, le prince Hubertus von Hohenlohe, héritier d'une grande famille, vient en quelque sorte « couronner » cette exposition riche et abondante, pour nous révéler ses derniers clichés. Son travail s'apparente à celui d'un peintre puisqu'il pense ses photos comme des tableaux.
Au total ils sont 16 artistes. Résultat fulgurant qui laisse entrevoir un prodigieux travail qui touche le spectateur comme un fétiche ou un talisman. Accouchement magique qui provient pour l’essentiel de la rue. Celle-ci constitue en effet la principale source d'inspiration commune à tous ces artistes.
C'est pourquoi, comme par révélation, elle leur fournit le langage le plus primitif, le plus pur, le plus essentiel mais aussi le plus vrai.
Christian Schmitt
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