Cocteau le
Jean Cocteau, le « recalé » de la cathédrale de Metz.
(Conférence donnée dans le cadre de la publication de mon livre "Je décalque l'invisible" sur les vitraux de Jean Cocteau. Voir aussi une présentation synthétique des vitraux réalisés par Jean Cocteau : http://espacetrevisse.e-monsite.com/pages/expositions/les-vitraux-de-cocteau-de-l-eglise-st-maximin-de-metz.html ).
Après la seconde guerre mondiale, il devenait urgent de reconstruire les édifices religieux et notamment réparer les multiples dégâts causés aux vitraux.
La première chance de Metz fut d’avoir à cette époque un architecte en chef des monuments historiques en la personne de Robert Renard qui fit appel aux artistes contemporains les plus prestigieux du siècle pour remplacer certaines verrières de la cathédrale Saint-Etienne
C’est dans ce contexte que Jean Cocteau avait été sollicité avec d’autres artistes comme Bissière, Villon et Chagall.
Or, les propositions de cet artiste polygraphe ne furent pas acceptées par la commission chargée du projet :
« Cocteau n’est sûrement pas qualifié pour l’art sacré ». En réalité Jean Cocteau sentait le soufre : artiste mondain, homosexuel plus familier de la mythologie antique que de l’histoire biblique, il avait tout pour déplaire et effrayer les gens d’Eglise !
Mais comme « lot de consolation ! », il lui fut attribué un autre édifice religieux messin, l’église Saint-Maximin située rue Mazelle dans le quartier Outre Seille. Or, cette décision se révéla être bien plus qu’une seconde chance obtenue par dépit puisqu’ au final elle constituera une véritable opportunité pour l’artiste et pour Metz.
Par ailleurs malgré les affirmations de la commission, Cocteau n’est pas totalement un néophyte pour la décoration d’églises. Déjà en 1957, ce sera la Chapelle de Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer où il avait mis en scène les événements de la vie de Saint Pierre.
Ensuite en 1959 ce seront deux nouvelles chapelles qu’il va décorer, l’une à Londres (Chapelle Notre Dame de France) et l’autre la Chapelle Saint-Blaise des Simples de Milly la Forêt lieu où il sera inhumé. Dans cette même commune il avait déjà acquis une dizaine d’années auparavant une maison qui deviendra son lieu de vie habituel.
Cependant à Metz, ce disciple d’Orphée va dépasser toutes ses autres réalisations antérieures et non pas uniquement en raison de l’ampleur du travail accompli (14 baies vitrées représentant 24 fenêtres) mais également au vu d’une démarche artistique tout à fait étonnante.
Souvent dans les chapelles ou églises qu’il avait pu décorer, on avait pu observer un certain académisme du trait, son dessin apparaissant souvent convenu voire figé « dans un modèle infiniment répété ». Le catalogue de l’exposition de 2003 au centre Pompidou fait le même constat pour certaines de ses œuvres graphiques ou picturales.
Par contre dans cette petite église paroissiale de Metz, Cocteau ne se répète jamais. Au contraire on découvre une « nouveau Cocteau » : les formes sont complexes, stylisées, variées et uniques et le souffle qui l’inspire paraît presque sans limites!
C’est pourquoi le fait d’être « recalé » à la cathédrale, fut pour lui une véritable aubaine, une occasion unique de révéler son talent dans l’art du vitrail. Avec le recul il ne fait aucun doute que s’il avait été retenu dans cet édifice prestigieux de Saint-Etienne sa présence aurait été limitée voire noyée par les réalisations d’autres artistes. Par contre à Saint-Maximin, étant tout seul il a pu littéralement « se lâcher » et donner le meilleur de lui-même en révélant la quintessence de son art.
Pour conclure ce préambule l’on peut affirmer aussi sans prétention ni exagération que son œuvre verrière à Metz constitue sans conteste son dernier grand chef-d’œuvre achevé pour l'essentiel à titre posthume, puisque décédé le 11 octobre 1963.
Trois idées peuvent caractériser l’œuvre qu’il réalisa à Metz :
1) Une œuvre-témoin de l’art du XX°s.
2) Une œuvre novatrice et prophétique
3) Une œuvre célébrant l’immortalité et l’au-delà
1) UNE ŒUVRE-TEMOIN DE L’ART DU XX° s.:
Cocteau se plaisait à appeler malicieusement l’église Saint-Maximin de « chapelle » alors qu’elle fait partie des plus anciens sanctuaires de Metz. Loin d’être insignifiante ou sans intérêt, puisqu’à la fin du 8° s. il est déjà fait mention de cet édifice religieux. Celui-ci figurait en bonne place parmi les joyaux de ce manteau d’édifices religieux qui recouvrait alors la belle cité médiévale.
L’état actuel de l’édifice date de cette époque avec un chœur roman peut-être de 1190, une façade romane avec un portail central baroque du 18° s. et deux portails latéraux plus tardifs (19°s.). La nef et les bas-côtés ont été voûtés vers le XIV et le XV° siècle.
Finalement tout prédestinait ce lieu chargé d’histoire à devenir un écrin de choix pour ce créateur qui a su concilier par l’art de son temps les cultures les plus anciennes avec les lieux les plus éloignées. Par ses créations exceptionnelles, il va justifier cette évolution fondamentale de l’art contemporain dont il est un digne représentant.
En effet l’un des caractères essentiels de l’art moderne au cours du XX° siècle est d’avoir cherché un rapprochement avec les œuvres produites sur d’autres continents, par d’autres cultures et d’autres imaginaires. L’influence décisive de l’Afrique, de l’Océanie et des Amériques sur la transformation des formes et des langages occidentaux n’est, de ce fait, plus à prouver.
Le mouvement a été amorcé au début du siècle précédent par les poètes et peintres européens – parmi lesquels on peut citer Pablo Picasso, André Breton ou Apollinaire. Jean Cocteau lui aussi a contribué à l’émergence de ce courant novateur permettant un dialogue réel entre le vieux monde et le nouveau monde.
Son amitié notamment avec Picasso lui a permis plus que quiconque de s’intéresser à l’art ancestral et à l’art imaginaire.
Ainsi sa marque personnelle dans les vitraux de Saint-Maximin c’est d’avoir « fait surgir des frémissements végétaux, minéraux et charnels » à la manière de Wifredo Lam (voir Anne Tranche -catalogue W.Lam 1902-1982, ed.Fage, 2010) jusqu’à ce que naisse une sorte d’hymne poétique exprimant la communion entre la nature et l’homme en puisant dans les coutumes et traditions de tout horizon.
« Par l’étrangeté des associations mémorielles qu’elles suggèrent » (op.cit.), les formes apparaissent comme évoquant le mystère de cérémonies rituelles qui ne sont pas nécessairement chrétiennes.
Fidèle en cela à l’esprit de l’art contemporain, Jean Cocteau considère en effet que l’espace concret de la perception n’est jamais homogène, il est toujours ouvert et pluriel.
Plusieurs vitraux peuvent illustrer cette utilisation des arts premiers :
1- le vitrail central de l’abside – détail de la section inférieure (l’homme aux bras levés)
Mircea Eliade nous dit lorsque le chaman adopte cette position pendant les cérémonies, il s’exclame : « J’ai atteint le ciel. Je suis immortel. »
Ce motif est universel, traverse les âges, les latitudes, les mythes et les religions (Inscription rupestre V-VIs. Av. J.C., Foppe di Nadro, Valcamonica en Italie ; Orante/Quimbaya, Colombie ; Figure priant, VIII°s av.J.C./Luristan, Perse ; Le chaman à Angra en Sibérie,Ancêtre mythique au Mali et en Nouvelle Guinée).On le retrouve également dans l’Egypte ancienne dans le hiéroglyphe Kha.
2- La triple baie du transept sud (détail)
Les fondements africains sont puissamment marqués grâce en particulier à ce masque très allongé que l’on découvre dans la lancette centrale et qui est construit comme un totem avec des yeux exorbités.
Déjà pour les peintres cubistes (Picasso tout particulièrement) les masques africains sont chargés de sens.
« Dans toute la force du terme, c’étaient des objets-événements, exprimant les rapports de l’homme avec les éléments, les saisons, les fonctions vitales, avec le feu, le printemps, la nuit, l'orage, la chasse, la maternité - la création"
(Marcel Jean, Histoire de la peinture surréaliste, Seuil, 1959, p.199)
« Les objets nègres apparurent chargés de significations voilées, d’enseignements inédits, aux jeunes peintres qui commençaient à se préoccuper de la quatrième dimension ...".
Mais l’influence africaine est aussi décelable par la présence de la végétation et plantes d’Afrique (bouquets de palmettes notamment dans les lancettes et les lobes).
Par ailleurs dans cette même verrière beaucoup de motifs géométriques colorés font penser aussi aux tipis indiens et aux broderies des différentes tribus amérindiennes du continent américain.
Les éléments végétaux, à partir de l’entrecroisement d’obliques et de verticales permettent de découvrir parfois des visages en proie à d'étonnantes métamorphoses.
Ainsi l’ordre apparent, que Jean Cocteau tente de créer et de structurer grâce aux lignes et formes géométriques, n'est en réalité que fictif, car ce monde est déroutant et incontrôlable.
Les corps mi-bête, mi-homme avec la rencontre du végétal et toutes ces connexions entre les genres sont plutôt les symptômes de désirs et d'angoisses qui cohabitent dans les différentes cultures.
Cette oeuvre suggère d’étranges associations mémorielles et exprime également l’excitation poétique de Cocteau au contact de civilisations et cultures étrangères.
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Hormis les arts premiers, l’œuvre de Cocteau se singularise aussi par le « géométrisme », un style qu’il utilise abondamment dans beaucoup de ses verrières. Celui-ci est le résultat de ses premières influences artistiques majeures , notamment le cubisme grâce à Picasso.
Picasso a décidé d’abandonner la peinture réaliste en 1906 et sous l’influence de Paul Cézanne, il commença à peindre les visages en géométrisant comme s’il s’agissait de masques.
Influencé également par les arts premiers, il va poursuivre son travail par la géométrisation des volumes.
En fragmentant les objets en plusieurs facettes, il lui est possible alors de les observer sous différents angles.
Son tableau le plus célèbre marquant cette période cubiste sera Les demoiselles d’Avignon de 1907. Et c’est en 1916 que jean Cocteau fit appel à lui pour réaliser les décors d’un ballet dénommé Parade sous la direction de Diaghilev. La première représentation fut donnée le 18 mars 1917 au théâtre du Châtelet à Paris.
Picasso qui devient son ami l’impressionna par son invention et son audace. Le cubisme a fait irruption dans ce ballet par la mise en scène des trois terribles Managers « inhumains » qui étaient les hommes-décors, véritables portraits crées par Picasso.
C’est la raison pour laquelle Cocteau a toujours gardé l’empreinte cubiste de cette période.
La deuxième fenêtre du côté sud (à droite) de l’abside :
Pour compléter les fondements de son « géométrisme » le poète a dû aussi puiser dans l’Harmonie de la géométrie d’un certain Piet Mondrian.
Avec le mouvement « De Stijl », ce peintre hollandais influencé également au départ par le cubisme a voulu par la suite créer un art avec les éléments purs.
Un ordre uniquement régi par l’homme qui s’oppose au fondement naturel. Cette opposition entre action de l’homme et monde naturel est aussi la parfaite illustration thématique coctalienne dans cette verrière.
Le mouvement « De Stijl » prône en effet une révolution architecturale qui doit se développer en s’appuyant sur des mesures harmonieuses d’une peinture orthogonale et sur l’idée platonicienne d’une beauté géométrique idéale.
Ici, dans ce vitrail, et notamment dans sa partie la plus élevée, l’écriture est très proche de l’esprit architectural, voire constructiviste. Le triangle maçonnique qui apparaît dans le troisième compartiment renforce cette impression d’une peinture de type architectural. Tout l’espace est d’ailleurs occupé par des formes géométriques et abstraites
Enfin dans l’œuvre de Cocteau, il y a aussi des références à la peinture surréaliste et notamment à De Chirico. Dans le bas de la troisième fenêtre de la triple baie du transept sud on voit un cavalier dessiné à la manière d’un mannequin sur un cheval prêt à partir pour l’aventure.
En fait, cette façon de représenter ce personnage comme un mannequin est typiquement chiriquien. En effet c’est vers 1915 que De Chririco a commencé à peindre des mannequins. Isolés ou par couples, ces êtres au chef lisse et ovoïde adoptent souvent des poses méditatives et inquiétantes.
Il crée ces mannequins pour répéter en quelque sorte le geste créateur de Prométhée, le « père des civilisations » qui fabriqua la première statue animée : l’homme lui-même.
Cocteau féru par ailleurs de mythologie ne pouvait ignorer cette origine des mannequins et c’est pourquoi il reprend à son compte ce type de représentation dans ce personnage du cavalier. Il a pu également s’inspirer du tableau de De Chirico intitulé La Tour rose de 1913 où l’on voit de façon partielle émerger la statue d’un cavalier avec sa monture, à droite d’une tour rose.
D’autre part, ce besoin de voyage, lui vient également de De Chirico mais aussi des autres surréalistes toujours autant motivés par le dépaysement.
2) UNE ŒUVRE NOVATRICE ET PROPHETIQUE :
Déjà par le vitrail central de l’abside, Cocteau annonce le motif que vont utiliser vingt ans ou trente ans après lui les artistes du Street Art.
Ainsi un certain Keith Haring va abondamment utiliser le motif de l’homme aux bras levés dans ses propres œuvres.
Cet artiste américain réalisera en 1981 une œuvre de grande dimension (243,8 x 243,8 cm) avec de l’encre vinyle sur bâche vinyle représentant une effigie humaine les bras levés au ciel. En 1984, ce sera un autre motif de l’orant, une encre noire sur papier et la même année une autre encre sur terre cuite.
Dans la première baie de la face sud (chapelle de Gournay), Cocteau crée également un autre pictogramme anthropomorphe voire mi-végétal mi-humain. Alors que cette utilisation de pictogrammes est pratiquement courante chez les artistes du Street Art (Keith Haring, Basquiat notamment) et trouve son origine dans la B.D. (Bande Dessinée) et aussi dans ce besoin de communiquer rapidement par des dessins figuratifs stylisés fonctionnant comme un signe…Cocteau, lui, était pratiquement le seul à le faire à son époque !
Il fait figure de précurseur annonçant les mouvements picturaux qui vont émerger vingt ans après lui.
Pour preuve l’usage du pictogramme est beaucoup lié à cette société qui utilise internet comme moyen de communication rapide.
Or, Cocteau, au début de ces années 1960, utilise déjà cette forme picturale dans son œuvre comme un moyen visuel d’introduire la vitesse et la spontanéité dans l’art.
C’est Raymond Radiguet qui lui a appris à se placer à l’avant-garde de l’avant-garde et ce dans toutes les activités artistiques qu’il a pratiquées.
Première baie de la face sud (pictogramme anthropomorphe dans la fenêtre de gauche)
En reprenant les mêmes mots utilisés par Peter Halley présentant l’œuvre de Keith Haring, l’on peut les appliquer sans hésiter à Cocteau :
« Il prenait dans le passé, en essayant d’imprégner le présent et l’avenir d’un sentiment mythique. C’est un objectif artistique que l’on rencontre souvent et c’est un concept puissant.»
Par ailleurs dans les sections supérieures de la verrière de la deuxième fenêtre du côté sud (droite) de l’abside (détail ci-dessous) on retrouve certains aspects de la peinture contemporaine américaine.
Notamment le mouvement qui est issu de l’Action Painting américain dénommé Color Field Painting ou appelé aussi « Abstraction post-picturale ».
On peut trouver des similitudes avec la peinture d’un certain Kenneth Noland qui fut un élève d'Albers, et se singularise par l'utilisation de formes plus sévères et plus géométriques.
Avec son oeuvre de 1967, intitulée Via Blues (huile sur toile, 129 x 671 cm), des bandes de couleurs font penser à celles du vitrail. De plus ce même artiste privilégie les figurations symétriques, cercles, croix, formes en "X" ou en "Y".
Le traitement des éléments picturaux par ce peintre conduit à éveiller le sentiment d’un mouvement vertical, ascensionnel. Mais ce qui compte pour ce peintre américain c’est avant tout la neutralité des bandes de couleurs.
Par ailleurs Cocteau aussi, comme tous ces peintres coloristes, s’inspire beaucoup des peintures amérindiennes. Comme un certain Morris Louis qui créera les colonnes de couleur ou des grands formats horizontaux (la série des Unfurled) très inspirés de l’iconographie indienne.
Il est également, d'une certaine manière comme Max Beckmann ou Rothko à la recherche de la lumière. Pour tous ces artistes, la lumière renvoie aux "transcendental expérience".
3) UNE ŒUVRE CELEBRANT L’IMMORTALITE ET L’AU-DELA :
L’invocation à l’immortalité dans le vitrail central :
Le message le plus probant signifié par ce vitrail central semble bien être celui lié à l’immortalité.
À l’évidence, si Cocteau a fait figurer ces deux personnages de manière aussi évidente (l’orant et son double), on ne peut ignorer et faire l'impasse sur le contenu de leur invocation, la foi en l'immortalité.
De plus, la situation de ce vitrail au centre du demi-cercle (abside), sous forme d'un croissant lunaire, conduit à conforter ce message hiérophanique sur l’immortalité (hiérophanie concept introduit par Micéa Eliade comme la manifestation du sacré)
D’ailleurs, c’est cette même immortalité que recherche tout artiste à travers son travail dont le but ultime serait de créer une oeuvre qui lui succède.
Jean Cocteau lui-même en réalisant cette dernière création la plus importante avant sa mort a dû y songer en permanence.Il n'a cessé sa vie durant d'utiliser la mythologie et notamment le personnage d'Orphée pour faire revenir à la vie les êtres chers et les rendre même immortels.
S’agissant du film Orphée de 1950, il est dit notamment dans le blog « l’OEil sur l’Écran » :
« Jean Cocteau transpose le mythe d’Orphée à l’époque actuelle... L’homme est sauvé, La Mort meurt, c’est le mythe de l’immortalité. »
Ce thème de l’immortalité est repris aussi abondamment par les anthropologues, Otto Rank a indiqué pour sa part que la quête de l'immortalité constituait la force fondamentale qui guide tout processus créatif.
Dans la troisième baie de la face sud (Chapelle de Gournay)
Le poète expérimente la « phénixologie ». Minerve qui tue le poète avec sa lance et celui-ci qui renaît aussitôt avec des yeux irradiés(phénixologie vient de Phénix, l'oiseau de la mythologie qui se consume et renaît de ses cendres)
Par la mort, il exprime l’extrémisme qui habite l’artiste. Mais il ne craint plus la mort car déjà dans Orphée, la mort apparaissait sous forme d'une princesse vêtue de blanc. La mort possède une vertu créatrice puisqu'elle ramène chaque fois le poète à la vie.
Selon lui, l’acte de créer est inséparable de la mort, car il faut mourir en quelque sorte pour créer d’où la citation sur laquelle se termine Le sang d’un poète : « Ennui mortel de l’immortalité ».
Mais l’immortalité qu’il concevait auparavant n’était qu’à l’image du miroir. Celui-ci n’était en réalité qu’une illusion car en plongeant dans cet espace réfléchissant, il ne pénètre qu’en lui-même. Par contre grâce à son travail sur le vitrail, il va déboucher sur l’indicible et le tout autre.
L’immortalité qu’il perçoit n’est plus synonyme de grand vide, de vie errante, de stérilité et d’impuissance. Bien au contraire, le feu qui s’agite dans la troisième baie derrière la tête de Minerve est comme le prélude d’un grand embrasement, l’annonce d’un moment d’éternité qui permet de tout transcender.
Ces mêmes yeux anormalement grossis font penser à certains surréalistes comme Man Ray. Dans son court métrage intitulé Emak-Bakia de 1926, Man Ray montrait déjà une femme avec les yeux collés ou peints par-dessus ses paupières.
De la même façon, Cocteau et Minerve dans Le Testament d’Orphée vont apparaître avec des yeux collés sur leurs paupières. Cet effet visuel contribue à nous plonger dans un monde irréel celui de la poésie comme ce cinépoème de Man Ray.
On retrouve les yeux de l’initié dans ce vitrail avec le visage de Minerve. Ses yeux qui paraissent anormalement grossies résultent d’un phénomène d’irradiation : une connaissance directe qui se nourrit d’un feu brûlant dont parlait Kafka. L’œil qui n’est que « la fenêtre de l’âme ».
Le poète ajoute lui-même que pour ses films il ne s’agit nullement d’un simple artifice ou d’un caprice résultant d'un étalage de rêves:
« Au lieu de perdre tout contrôle comme il arrive dans le rêve, je célèbre les noces du conscient et de l’inconscience qui mettent au monde ce monstre terrible et délicieux qu'on appelle la poésie."
(Jean Cocteau, Du cinématographe, 1973 (posthume) textes recueillis par André Bernard et Claude Gautier, Ed. du Rocher, 2003, p.220)
Le vitrail comme « porte » du sacré et de l’au-delà :
Les vitraux chez Cocteau permettent l’irruption du sacré (hiérophanie) dans l’espace cosmique. Mircéa Eliade fait référence quant à lui à l’échelle de Jacob pour illustrer à titre d’exemple une célèbre hiérophanie.
Atteindre le Ciel, permettre aux anges de monter et de descendre et Dieu au sommet qui proclame : « Je suis l’Eternel, le Dieu d’Abraham ! » et plus loin, Jacob s’éveillant s’écrie : « Combien ce lieu est redoutable ! C’est bien ici la maison de Dieu : c’est ici la porte des Cieux ! » (Genèse, XXVIII, 12-19)
Ayant pour ainsi dire trouvé lui aussi de manière symbolique « l’échelle de Jacob » par cette « porte des Cieux », Cocteau va pouvoir utiliser les vitraux de l’église Saint-Maximin comme un lieu unique d’expérimentation d’une hiérophanie.
En considérant ces vitraux comme une porte ouverte aux dieux et à l’au-delà, il faut donc interpréter les signes et symboles apparaissant dans ces fenêtres, résultat du travail de l’artiste, comme les moyens permettant cette communication et ce dialogue.
( Conférence donnée par Christian Schmitt le lundi 14 janvier 2013 dans le cadre de" l'Histoire du Patrimoine Lorrain" à l'Hôtel de Gournay à Metz)
Le livre "Je décalque l'invisible" peut être commandé sur le site de l'éditeur: http://editions-des-paraiges.eu/magasin/page62.html