Konstantin Altunin, peintre maudit

Konstantin Altounine, le peintre maudit de Poutine

/  Metz (France)

-  06 décembre 2014 06:00

-  AFP (Etienne BALMER)

/  PORTRAIT

Konstantin altounine 5

 

Pour avoir osé représenter Poutine en nuisette, le peintre russe Konstantin Altounine avait dû fuir en France en 2013. Reparti de zéro mais débordant d'idées, il aimerait aujourd'hui tourner la page de ce tableau qui lui colle à la peau.

"Désolé, c'est un peu petit ici...", s'excuse en souriant l'artiste de 46 ans, dans un français encore hésitant. Il reçoit dans son deux-pièces étroit d'un quartier de banlieue à Metz, où il vit depuis six mois avec sa femme Elena et sa fille Assia, trois ans et demie.

La famille occupe la chambre principale, sommairement équipée d'un "clic-clac", d'un vieux lit superposé en métal et de meubles bon marché. Des toiles inachevées côtoient des jouets et des dessins d'enfant accrochés au mur.

L'atelier du peintre a envahi la seconde pièce, au sol recouvert de papier journal maculé de taches de couleur, parsemée de tableaux en préparation, de livres, coupures de magazines et pots de peinture.

Après quelques mois en résidence à la Cité internationale des arts à Paris, les services de l'immigration lui ont attribué ce logement social en Lorraine. En attendant des jours meilleurs, il n'a pas vraiment eu le choix.

"J'aimerais revenir habiter à Paris, c'est mieux pour un artiste-peintre", confie l'homme à forte carrure, aux cheveux en toit de chaume et au regard clair et miroitant comme la mer Blanche à Arkhangelsk, sa ville d'origine.

Poursuivi l'an dernier en Russie pour "extrémisme", un chef d'inculpation passible de plusieurs années de prison, il ne sait pas où en est la procédure: "Cela ne m'intéresse plus. Maintenant, ma vie est en France".

En août 2013, des policiers russes armés de kalachnikov avaient saisi quatre de ses toiles exposées dans un musée privé de Saint-Pétersbourg, dont l'une représentait un Vladimir Poutine en nuisette, coiffant les cheveux d'un Dmitri Medvedev doté d'un corps de femme voluptueux en sous-vêtements. 

Ce travestissement était "de la satire, pas de l'extrémisme", qui symbolisait l'échange des fonctions de Premier ministre et de président entre les deux hommes en 2012, estime le peintre. 

Craignant d'être interpellé, il s'était promptement envolé pour Paris "avec à peine une brosse à dents" et avait demandé l'asile en France. Sa femme et sa fille l'ont rejoint quelques semaines plus tard.

- Une production "frénétique" –

"Il avait une grande notoriété en Russie, il vendait ses toiles très cher. Tout ça s'est écroulé. En France, sa cote est repartie de zéro. Il a dû baisser ses prix, mettre son orgueil de côté", raconte Caroline Barthélémy, de la galerie parisienne La Valse, qui l'a exposé cette année.

Faisant feu de tout bois, il expose actuellement près de Metz... dans une salle de remise en forme, au milieu de machines de fitness.

Mais de ses déboires en Russie, Konstantin Altounine assure qu'il "ne regrette rien": "Si c'était à refaire, je le referais. Un peintre doit être libre pour être un miroir de son époque".

Dès son arrivée en France, "il s'est mis à avoir une production frénétique", peut-être "par rage" d'avoir perdu ses tableaux restés en Russie, relève Mme Barthélémy.

S'il a poursuivi un temps sa série corrosive sur le tandem au pouvoir à Moscou, grimant par exemple un Poutine glacial en "saint" avec ailes et auréole, le peintre, qui ne se voit pas comme un "artiste à scandale", traite aujourd'hui d'autres sujets.

Tantôt grises et d'un académisme trompeur, tantôt zébrées de coulures bariolées, ses toiles peuvent mettre en scène des réfugiés de Syrie, des primates d'une confondante humanité ou encore des poètes qu'il admire comme Baudelaire, Verlaine ou Limonov.

Mais il garde aussi un oeil subversif sur la Russie, peignant par exemple un prêtre orthodoxe, Rolex au poignet, face à un bagnard tatoué à l'expression christique.

"Il est à la fois flatté que les médias s'intéressent à lui, mais aussi fatigué qu'on lui parle toujours de ses tableaux de Poutine", glisse Mme Barthélémy.

D'ailleurs, les collectionneurs à Paris, Londres ou New York l'entendent différemment: "Ses toiles sur Poutine ne sont pas forcément celles qui se vendent le mieux", selon la galeriste.

Etienne Balmer

Journaliste à l'AFP. 

 

 

Article du Républicain Lorrain du 10/11/2014:

L’ATELIER IMPROVISÉ occupe l’une des deux uniques pièces de l’appartement familial. Des dizaines de pots de peintures, pinceaux, livres, magazines, palettes maculées… Les nombreuses toiles entassées dans les rares espaces libres de ce modeste espace de vie, témoignent pour le moins d’une abondante production. Tout comme son apparente nervosité révèle un esprit foisonnant. Difficile d’accrocher le regard d’une clarté intense qui papillonne sans arrêt. Artiste russe en exil, Konstantin Altunin continue, malgré la dissidence qui a fait basculer sa vie, à peindre. Frénétiquement.

Réfugié politique en France, c’est près de Metz que les services de l’immigration ont attribué un logement social à la famille Altunin. Tout a basculé le 27 août 2013. Altunin expose des portraits satiriques, souvent liés à l’actualité et l’histoire politique, ses sujets favoris, au Musée du Pouvoir de Saint-Pétersbourg. « L’expo avait ouvert depuis deux semaines, la police a débarqué, saisi quatre de mes tableaux et arrêté le directeur et la commissaire de l’expo ».

Parmi les quatre toiles « Travestis », un portrait de Poutine en nuisette, coiffant les cheveux d’un Medvedev au corps de femme en sous-vêtements. « Cette peinture, je l’ai réalisée deux ans auparavant. Alors que Poutine et Medvedev ont échangé leurs rôles de Premier ministre et Président. C’est une satire de ce jeu de chaises musicales. Elle avait par ailleurs déjà été exposée à Arkhangelsk, ma ville d’origine sans que cela ne pose de problème ».

Autre toile confisquée par la police en armes, un portrait du député Vitali Milonov, auteur d’une loi promulguée contre « la propagande homosexuelle », peint sur fond de drapeau arc-en-ciel. Konstantin Altunin est accusé d’« extrémisme ».

Au lendemain de la saisie, le musée est fermé. « Dans la nuit, des amis m’ont prévenu que la police me recherchait pour m’interroger. Je risquais huit ans de prison. J’ai rempli un sac à dos de quelques affaires, pris un avion pour Moscou, puis de là un autre pour Paris. J’avais fort heureusement un visa permanent pour avoir déjà exposé plusieurs fois à l’étranger. Je ne m’attendais pas à tout cela. Je ne suis pas un provocateur. Mes peintures sont des satires. Un miroir de la société russe ».

En une nuit, il abandonne tout et doit fuir en laissant derrière lui sa femme et sa fille. Arrivé à Paris, il sera aidé et soutenu par l’association Russie Libertés et réussira à obtenir un visa pour sa femme et sa fille. Aujourd’hui Konstantin confie : « La Russie, c’est du passé. À part ma mère, rien ne me manque de là-bas ».

À la même enseigne de l’exil que des réfugiés plus anonymes

Installée en Moselle depuis quelques mois, la famille, si elle a rapidement pu obtenir l’asile politique, n’en vit pas moins à la même enseigne de l’exil que des réfugiés plus anonymes. Logement d’urgence, isolement social, perte du niveau de vie… Grâce à internet, « je suis en contact permanent avec mes amis, ma famille. Ma mère, qui est âgée de 72 ans, a même pu nous rendre visite ici ». La peinture c’est toute sa vie.

Aussi Konstantin Altunin ne quitte-il que très rarement son atelier. Sur le chevalet une toile en préparation sur le thème « des réfugiés de Syrie », à côté un portrait de Van Gogh fraîchement peint sur un imprimé du « Déjeuner sur l’herbe » de Manet « trouvé dans une poubelle du quartier ».

Dans cette toute nouvelle vie, l’artiste prolifique s’est récemment autorisé une pause pour faire une petite visite au Centre Pompidou lorrain. Et confie qu’il y exposerait volontiers ses œuvres, « si on m’y invite… ».

Stéphanie SCHMITT