Sans titre de F.BAERTEN

 

 

Sans titre, huile sur toile, 100 x 100 cm, 2006.

 

Parler de l'œuvre de François Baerten c'est souvent évoquer un manuscrit énigmatique avec son écriture ancienne et particulière mais aussi un art rupestre préhistorique avec ses représentations figuratives animales et anthropomorphiques schématiques.

En fait ce peintre explore dans le prolongement de l’école surréaliste l'inconscient et le rêve, comme réalités et stimulants artistiques. C’est pourquoi comme Schwitters, il peut affirmer que: « l'art est un concept originel, sublime comme la divinité, inexplicable comme la vie, indéfinissable et sans but ».

Façonné par ces principes, cet artiste crée une autre réalité, un univers d'une grande magie. Et la fraîcheur jamais routinière de son regard lui permet de contempler les objets et les êtres avec étonnement.

Sa force créatrice lui vient en partie de cette école du rêve  et probablement d'un certain Miro pour son  son goût de l'invention. Car tel un primitif, Miro a porté son monde de signes. Ce peintre-magicien possède une façon unique de travailler. Avec une maîtrise et une rigueur incomparables, il façonne les détails méticuleux et les lignes graphiques qui vont serpenter ludiquement la surface de ses toiles.

Dubuffet a dû également inspirer François Baerten (F.B.), car ce grand maître de l'Art brut a plus que quiconque poétisé la matière, la vie simple des hommes, des animaux et de la nature.

Certes cette toile de F.B. résume à elle seule toutes ces influences mais en réalité elle va bien au-delà. Il y a dans ce tableau comme un emballement, un télescopage de notre monde avec celui des temps reculés (les tours de nos immeubles plantés dans un espace où se côtoient des animaux étranges souvent d'aspect préhistorique et des hominidés également venus du fond des âges…).

Cette rencontre se révèle être comme une communion mystique qui permet de transcender les époques et les lieux. Le peintre se révèle le primitif d'un art nouveau. Le motif essentiel de sa peinture est cet univers dans sa totalité sauvage et primitive.

Cette toile est remplie par le trop-plein. L'œil s'égare de toute part, chaque partie est occupée par une scène particulière. On a le tournis parfois face à ce désordre apparent qui cache une autre réalité.

Ce monde coloré que le peintre nous donne à voir ressemble plutôt à des visions. Tout semble fantastique et irréel, un monde paradisiaque où tout baigne dans un univers poétique grâce à cette harmonie entre les couleurs et les formes.

Le trait utilisé par ce peintre parcourt l’œuvre tout en finesse. La peinture devient écriture – hiéroglyphe. Ici comme chez Miro, on assiste également au traitement des détails méticuleux.

Perfectionniste F.B. adopte une écriture fine et stylisée. Son travail s’apparente à celui d’une dentellière : ainsi les brindilles et les feuillages des formes végétales sont restitués avec une précision hallucinante.

Des lignes graphiques, qui sont nombreuses, circulent librement dans tout l’espace marquant parfois ce territoire comme s’il s’agissait des rides du temps. Mais heureusement tout est léger, aérien et finement dessiné. Le rêve devient réalité et la réalité rêve grâce à son écriture qui n’est que poésie.

Les êtres représentés se situent souvent à mi-chemin entre l’imagination et la réalité. L’univers semble harmonieux malgré un fouillis nerveux et passionné de lignes. Mais tout cela reflète peut-être un état d’émotion, de bouillonnement et aussi d’apaisement voire un certain état de grâce ?

L’œuvre témoigne aussi d’une sorte de fascination pour les forces ou les formes en gestation comme au premier matin du monde. Ces couleurs rougeoyantes au centre de la toile font apparaître sur fond de chaos un monde en train de naître.

Bazaine disait : « Le peintre ne vogue pas sur un monde bien défini: il participe à sa naissance, mêlé aux profondes racines […]; bien mieux, sa puissance fait surgir des mondes nouveaux. » (Bazaine Jean, "Interview", Le Nouvel Observateur (Paris), mai 1972)

Cette toile nous fait éprouver une émotion esthétique redoublée par une émotion métaphysique: nous sommes ancrés originairement dans le chaos, c'est le monde primordial.

Peintre de l'être sauvage qui est un comme un retour aux choses essentielles ou aux « choses mêmes » d'un certain Husserl : retrouver ce perçu ou ce vécu originaire.

Ce qui conduit à ce spectacle presque halluciné de ces êtres inconnus, ces animaux tout droit sortis de l'imaginaire ou de l'iconographie des grottes préhistoriques…

« On pense aussi à Heidegger pour qui l'œuvre d'art est une clairière, trouée de lumière, bordée d'arbres frissonnants et traversée par le passage de l'Etre dans le temps. » (Michel Ribon, « Cézanne d'un siècle à l'autre » (Coll. Eupalinos, Ed.Parenthèses, 2006)

C'est ce souffle et cette pensée qui poussent constamment le peintre à atteindre cette «profondeur» et ce retour vertigineux au chaos originaire.

C'est pourquoi la peinture est une méditation sans cesse reprise et comme le disait Maurice Merleau-Ponty « comparable à une philosophie figurée de la vision ».

Et comme la philosophie, elle reste une interrogation jamais achevée et sans cesse reprise.

« Toute œuvre d'art est comme une vague: avec son écume de passé, l'éclat de son présent et sa crête d'avenir, elle appelle une suite de nouvelles métamorphoses. » (Michel Ribon, Ibid.)

 

Metz, le 10 septembre 2010.

Christian Schmitt

François Baerten


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