Présentation officielle du livre sur les vitraux de Cocteau 15/03

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 Dominique Gros, Maire de Metz, Christian Schmitt et Sébastien Wagner, Directeur des Editions des Paraiges

 

« Je décalque l’invisible » sur  les vitraux de Jean Cocteau à l’église Saint-Maximin de Metz – présentation officielle du livre  le 15 mars 2013 à 18h  à l’Hôtel de Ville de Metz :

 

Mesdames, Messieurs,

Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur le Maire de Metz qui a bien voulu organiser  une présentation officielle de mon livre sur les vitraux de Jean Cocteau par la Ville de Metz. 

Merci également à toutes celles et à tous ceux qui par leur présence en ce lieu ont voulu témoigner de leur intérêt et de leur soutien pour ce livre qui  décrypte l’œuvre de Jean Cocteau.

Cet artiste  méritait une telle célébration d’autant qu’il a réalisé à Metz son dernier chef-d’œuvre, pratiquement inconnu du grand public. Hélas décédé le 11 octobre 1963, il n’a pu voir  qu’une seule fenêtre vitrée  parmi les  24  de l’église Saint-Maximin. 

Effectivement cette année 2013, qui marque le cinquantième anniversaire de sa disparition est toute indiquée pour célébrer sa mémoire et son  œuvre. Déjà nos voisins et amis luxembourgeois n’ont pas tardé à le faire par une exposition tout à fait exceptionnelle au Cercle Cité de Luxembourg sur son œuvre graphique. 

La Ville de Metz se devait donc  d’être présente et mon livre vient à point nommé  pour rendre compte de ce joyau de l’art contemporain et honorer le travail le plus accompli, le plus original mais aussi le plus audacieux réalisé à Metz en matière de vitrail par ce génial artiste. 

Mais le plus étonnant c’est que  ce travail exceptionnel de  Jean Cocteau risquait de  ne jamais voir le jour à Metz ! 

Avec d’autres artistes comme Bissière, Villon et Chagall, il avait été sollicité initialement pour la cathédrale Saint-Etienne de Metz. 

Or, les propositions de cet artiste polygraphe ne furent pas acceptées à l’époque  par la commission chargée du projet : 

Il avait été dit notamment que «Cocteau n’est sûrement pas qualifié pour l’art sacré ». En réalité Jean Cocteau sentait le souffre : artiste mondain, homosexuel  plus familier de la mythologie antique  que de  l’histoire biblique, il avait tout pour déplaire et effrayer  les gens d’Eglise ! 

Toutefois comme « lot de consolation ! », il lui fut attribué un autre édifice religieux messin, l’église Saint-Maximin située rue Mazelle  dans le quartier Outre Seille. 

Paradoxalement cette décision de la seconde chance  constituera en réalité  une  véritable opportunité pour l’artiste et pour Metz. 

D’autant que même dans les milieux de l’art, Cocteau n’était pas exempt de  certaines critiques. On lui reprochait un certain académisme du trait et son dessin semblait parfois convenu voire figé « dans un modèle infiniment répété » comme le soulignait notamment le catalogue de l’exposition de 2003  au Centre Pompidou. 

Mais  étrangement dans cette petite église paroissiale de Metz,  Cocteau ne se répète jamais. Et on y découvre même un « nouveau Cocteau » : les formes sont complexes, stylisées, variées et uniques et le souffle qui l’inspire paraît presque sans limites! 

Trois idées-force   (au moins)   se dégagent de l’œuvre qu’il réalisa à Metz :

1)      Une œuvre-témoin de l’art du XX°s. 

2)      Une œuvre novatrice et  prophétique

3)      Une œuvre célébrant l’immortalité et  l’au-delà

 

I)      UNE ŒUVRE-TEMOIN DE L’ART DU XX° s.: (arts premiers, cubisme, Mondrian et Chirico)

a) les arts premiers :

L’œuvre qu’il réalisa  est témoin de l’influence  majeure sur le l’art du XX° s.  de l’Afrique,  de l’Océanie et des Amériques sur la transformation des formes et des langages occidentaux, je veux parler des arts premiers. 

Ce mouvement a été amorcé au début du siècle précédent   par les poètes et peintres européens – parmi lesquels on peut citer  Pablo Picasso, André Breton ou  Apollinaire.

Son amitié notamment  avec Picasso lui a permis plus que quiconque de s’intéresser à l’art ancestral et à l’art imaginaire. 

Sa marque personnelle dans les vitraux de Saint-Maximin c’est d’avoir « fait surgir des frémissements végétaux, minéraux et charnels » à la manière de Wifredo Lam (voir Anne Tranche -catalogue W.Lam 1902-1982, ed.Fage, 2010) jusqu’à ce que naisse une sorte d’hymne poétique exprimant la communion entre la nature et l’homme en puisant dans les coutumes et traditions de tout horizon. 

Pour illustrer cette influence, deux vitraux sont très révélateurs, notamment 

- le vitrail central de l’abside – détail de la section inférieure  (l’homme aux bras levés) 

Mircea Eliade nous dit lorsque le chaman adopte cette position pendant les cérémonies, il s’exclame : « J’ai atteint le ciel. Je suis immortel. »

Ce motif est universel, traverse les âges, les latitudes, les mythes et les religions (Inscription rupestre V-VIs. Av. J.C., Foppe di Nadro, Valcamonica en Italie ; Orante/Quimbaya, Colombie ; Figure priant, VIII°s av.J.C./Luristan, Perse ; Le chaman à Angra en Sibérie,Ancêtre mythique au Mali et en Nouvelle Guinée).On le retrouve également dans l’Egypte ancienne dans le hiéroglyphe Kha. 

- deuxième vitrail :  la triple baie du transept sud :

Les fondements africains sont également puissamment marqués grâce en particulier à ce masque très allongé que l’on découvre dans la lancette centrale et qui est construit comme un totem avec des yeux exorbités. 

Mais l’influence africaine est aussi décelable par la présence de la végétation et plantes d’Afrique (bouquets de palmettes notamment dans les lancettes et les lobes). 

b) le cubisme : 

Hormis les arts premiers, l’œuvre de Cocteau se singularise aussi par le   « géométrisme », un style qu’il utilise abondamment dans beaucoup de ses verrières. Celui-ci est le résultat de ses premières influences artistiques majeures, notamment le cubisme grâce à Picasso. 

Le tableau le plus célèbre réalisé par ce peintre andalou  marquant cette période cubiste sera Les Demoiselles d’Avignon de 1907. C’est en 1916 que Jean Cocteau fit appel à lui pour réaliser les décors d’un ballet dénommé Parade sous la direction de Diaghilev. La première représentation fut donnée le 18 mars 1917 au théâtre du Châtelet à Paris. 

A ce titre, il est dommage que le Centre Pompidou de Metz  doive restituer  prochainement le rideau de scène de Parade et que les organisateurs de ce même Centre d’art contemporain  n’aient pas pensé  célébrer la mémoire et l’œuvre de Cocteau tout au cours de cette année 2013. 

N’oublions pas que 1917 a été fortement marqué par Parade et  que Parade n’aurait jamais  existé sans Cocteau !  

c) Mondrian et Chirico : 

La deuxième fenêtre du côté sud (à droite) de l’abside : l’influence de Mondrian et de  Chirico 

Pour compléter les fondements de son « géométrisme », le poète a dû aussi puiser dans l’Harmonie de la géométrie d’un certain Piet Mondrian avec le mouvement « De Stijl ». 

Ici, dans ce vitrail, et notamment dans sa partie la plus élevée, l’écriture est très proche de l’esprit architectural du mouvement « De Stijl », voire constructiviste. Le triangle maçonnique qui apparaît dans le troisième compartiment renforce cette impression d’une peinture de type architectural. 

Enfin dans l’œuvre de Cocteau, il y a aussi des références à la peinture surréaliste et notamment celle d’un  Chirico. 

Dans le bas de la troisième fenêtre de la triple baie du transept sud on voit un cavalier dessiné à la manière d’un mannequin sur un cheval prêt à partir  à l’aventure. 

Dès 1915, Chirico  peint  des mannequins pour répéter en quelque sorte le geste créateur de Prométhée, le « père des civilisations » qui fabriqua la première statue animée : l’homme lui-même.

 

2)             UNE ŒUVRE NOVATRICE ET PROPHETIQUE :   (pictogrammes du Street  Art  et mouvements coloristes américains) 

a) utilisation des pictogrammes :

- l’homme aux bras  levés : 

Par le vitrail central de l’abside, Cocteau annonce déjà  le motif que vont utiliser vingt ans ou trente ans après lui les artistes du Street Art. 

Ainsi notamment  un certain Keith Haring va abondamment utiliser le motif de l’homme aux bras levés dans ses propres œuvres. 

Cet artiste américain réalisera en 1981 une œuvre de grande dimension (243,8 x 243,8 cm) avec de l’encre vinyle sur bâche vinyle représentant une effigie humaine les bras levés au ciel. En 1984, ce sera un autre motif de l’orant, une encre noire sur papier et la même année une autre encre sur terre cuite. 

- un deuxième pictogramme : 

Dans la première baie de la face sud (chapelle de Gournay), Cocteau crée  également un autre pictogramme anthropomorphe  mi-végétal et mi-humain. 

Actuellement l’usage du pictogramme s’est largement banalisé grâce à  internet comme moyen de communication rapide. 

Or, Cocteau, au début de ces années 1960, utilise déjà cette forme picturale dans son œuvre comme un moyen visuel d’introduire la vitesse et la spontanéité dans l’art. 

C’est Raymond Radiguet qui lui a appris à se placer à l’avant-garde de l’avant-garde et ce dans toutes les disciplines artistiques qu’il a pratiquées. 

b) les mouvements coloristes américains : 

Dans les sections supérieures de la verrière de la deuxième fenêtre du côté sud (droite) de l’abside, on retrouve certains aspects de la peinture contemporaine américaine. 

On  découvre des similitudes avec la peinture d’un certain Kenneth Noland qui fut un élève d'Albers. Avec son oeuvre de 1967, intitulée Via Blues (huile sur toile, 129 x 671 cm),  des bandes de couleurs  font penser à celles du vitrail. Et ce même artiste privilégie aussi les figurations symétriques, cercles, croix, formes en "X" ou en "Y".

Et comme tous ces peintres coloristes américains actuels, Cocteau s’inspirait  déjà des peintures amérindiennes. (Morris Louis avec sa série des Unfurled). 

 

3)      UNE ŒUVRE CELEBRANT  L’IMMORTALITE ET  L’AU-DELA : (immortalité, phénixologie et l’au-delà ) 

a) L’invocation à l’immortalité dans le vitrail central : 

Le message le plus probant signifié par ce vitrail central semble bien être celui lié à l’immortalité. 

Cocteau n'a cessé sa vie durant d'utiliser la mythologie et notamment le personnage d'Orphée pour faire revenir à la vie les êtres chers et les rendre même immortels. 

S’agissant du film Orphée de 1950, il est dit notamment dans le blog « l’OEil sur l’Écran » : 

« Jean Cocteau transpose le mythe d’Orphée à l’époque actuelle... L’homme est sauvé, La Mort meurt, c’est le mythe de l’immortalité. » 

b)la « phénixologie » dans la troisième baie de la face sud (Chapelle des Gournay) 

Le poète expérimente la « phénixologie ». Minerve qui tue le poète avec sa lance et celui-ci qui renaît aussitôt avec des yeux irradiés (phénixologie vient  de Phénix, l'oiseau de la mythologie qui se consume et renaît de ses cendres) 

Selon lui, l’acte de créer est inséparable de la mort, car il faut mourir en quelque sorte pour créer d’où la citation sur laquelle se termine Le sang d’un poète : « Ennui mortel de l’immortalité ». 

Mais l’immortalité qu’il concevait auparavant  n’était qu’à l’image du miroir. 

« Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles, la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. ». Mais grâce au vitrail il va déboucher sur autre chose que cette impasse de la mort. 

c) l’au-delà et le tout autre : 

L’immortalité qu’il perçoit n’est plus synonyme de grand vide, de vie errante, de stérilité et d’impuissance. Bien au contraire, le feu qui s’agite dans la troisième baie de la chapelle des Gournay derrière la tête de Minerve est comme le prélude d’un grand embrasement, l’annonce d’un moment d’éternité qui permet de tout transcender. 

La preuve ce sont les yeux de Minerve. Ses yeux qui paraissent anormalement grossies et qui  résultent d’un phénomène d’irradiation : une connaissance directe qui se nourrit d’un feu brûlant dont parlait Kafka. L’œil qui n’est que «la fenêtre de l’âme». 

Pour conclure,  je dirais que l’œuvre de Cocteau n’a pas fini de nous étonner et  notamment, me semble-t-il,  grâce à cette  petite église paroissiale de Saint-Maximin à Metz où ce disciple d’Orphée  nous  livre son véritable testament sous forme d’un testament de lumière !

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Enfin je tiens à signaler que tout ce travail de décryptage de l’œuvre de Cocteau n’a pu voir le jour que grâce au courage et la volonté d’un jeune éditeur de Metz, Sébastien Wagner des Editions des Paraiges qui a osé se lancer dans l’aventure d’une publication sans le concours d’aucun partenaire.

J’ose espérer que son premier livre d’art sera suivi d’autres car  je suis actuellement dans un  travail d’écriture sur les vitraux de Jacques Villon de la cathédrale de Metz.

Jacques Villon de son vrai nom Gaston Duchamp est l’aîné des trois frères Duchamp, dont le cadet Marcel Duchamp avec ses « ready-made » est le français le plus connu aux Etats-Unis après Napoléon selon le critique d’art Jean-Luc Chalumeau ! Metz va donc rayonner également  grâce aussi aux Duchamp ! 

Jacques Villon devrait sortir en fin d’année, Roger Bissière ainsi que Marc Chagall viendront ultérieurement  afin de  réaliser un coffret   réunissant les trois artistes contemporains les plus prestigieux de la cathédrale de Metz. 

J’espère que mon éditeur pourra  compter sur l’appui de partenaires pour  réaliser  ces différents projets.Je pense notamment à  la Ville de Metz et à des partenaires privés. 

Pour conclure et concernant tout particulièrement le livre sur Cocteau, je n’oublierai pas de  remercier Monsieur Jacques Perot, ici présent, conservateur général du patrimoine et ancien président du comité  international des musées qui m’a soutenu dans le projet du livre et l’admirablement mis en valeur grâce à une préface de grande qualité. 

De  même un grand merci à  Dominique Marny, écrivaine, vice-présidente du Comité Cocteau et petite nièce de Jean Cocteau qui, hélas,  n’a pas pu  venir ce soir  à Metz. Elle a écrit l’avant-propos qui m’a beaucoup touché. 

Un petit mot  de remerciement également à mon fils François qui a permis de réaliser les excellents clichés de ce livre. 

Metz le vendredi 15 mars 2013.

Christian Schmitt

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Monsieur Dominique Gros, Sébastien Wagner et Christian Schmitt

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A la Ville de Lyon

rl-1-du-16-mars-2013.jpgrl-2-du-16-mars-2013.jpgDans le Républicain Lorrain le 16 mars 2013