Une approche de JLT et de son oeuvre (1)

UNE APPROCHE DE JEAN-LOUIS TREVISSE (JLT) ET DE SON OEUVRE (1)


Mieux comprendre et interpréter la peinture de JLT nous conduit inévitablement à parler de lui-même et de ce qui le caractérise le plus : sa violence. Ce peintre a une sensibilité d’écorché et réagit souvent par des mouvements d’humeur ombrageuse. Une personnalité éruptive travaillée par de fortes pulsions, ce qui explique parfois ses propos provocateurs et outranciers.

Et notamment son œuvre où s’étale son goût prononcé pour les scènes de violence, de saccage ainsi qu’un érotisme débridé.

Mais ne voir que la violence c’est oublier l’autre versant de sa création: sa recherche de la permanence de l’être qui constitue le sens profond de sa démarche artistique.

SA VIOLENCE...

Tout d’abord ce qui frappe dans le monde de Trévisse et s'y maintient comme une constante, c'est la violence. Une violence qui est celle d'un tempérament, peu à peu  sublimée en vue d'une effraction du monde dans lequel il baigne.

Pourquoi cette violence ?

Ses violences et ses excès ne sont en réalité que l’expression de son propre mal être et également du monde dans lequel il vit.

Son mal être est évident lui qui était en permanence travaillé par de fortes pulsions. L’artiste est d’un contact peu facile : de nature ombrageuse, rugueuse, incertaine et parfois  inquiétante !

Mais ce comportement étrange, cette apparente dureté ne sont en réalité qu’un masque qui voile difficilement la grande fragilité d’un être en proie au doute permanent. De surcroît timide et réservé ce qui le rend d’autant plus sauvage aux yeux des autres.

Un état schizoïde peut expliquer en partie son caractère. En fait Trévisse  a vécu douloureusement le passage à l’âge adulte. A cet égard la période du traumatisme fœtal des années 1970 pose avec une certaine acuité la problématique de ses rapports avec la femme, les femmes et peut-être avec sa propre mère ?

Mais au-delà de la traduction de son propre tempérament, sa peinture est l’expression aussi du monde dans lequel il vit. Admirateur d’Antonin Artaud, il explore comme lui les mondes de l’impossible. Et avec lui, l’art délire et au lieu de rassurer en expliquant, il plonge complètement, ontologiquement dans la réalité la plus crue. Par conséquent il est à l’image du monde qu’il côtoie : explosif et fracassant.

Déjà très jeune, JLT a plongé dans la fureur machinale des usines sidérurgiques qui essaimaient les vallées de l’Orne et de la Fensch, sa région natale. Et toutes les impressions de jeunesse sont restées présentes dans sa mémoire : ce monde machinal entraînant tous les hommes dans un tourbillon sans cesse élargi.

Par la suite JLT pressentait les premiers effets de la mondialisation  par la mise à jour de processus plus destructurant  puisqu’ils conduisaient à bouleverser tous nos repères subjectifs. Dans ses œuvres de 1982-1984, il suggérait ce XXI°s. qui allait  modifier totalement la tranquille stabilité de nos appartenances et de nos filiations. C’est l’homme disloqué qui va perdre progressivement tous ses repères (du sol, de la langue et même de l’identité sexuée). A l'évidence la mise en scène répétée des corps éventrés dans les  années 1970 ne constituait que les prémisses de cette dislocation «Nos corps ne sont pas anatomiques » répète Artaud, ils sont « atomiques » !

Ce peintre n’est que le témoin ou le visionnaire d’un monde qu’il entrevoit, celui qui est à feu et à sang. Il ne cherche pas à expliquer, il fait sien le monde et cela de manière ontologique. Il est dans la modernité la plus absolue. Comme Artaud, il est un détonateur qui marche un pas en avance sur notre temps. 

Comment cette violence se traduit-elle dans sa peinture ?

Son œuvre s'offre maintes fois comme un champ de fractures tant les pulsions sont fortes et nombreuses.

Les deux périodes particulièrement violentes concernent  le traumatisme fœtal des années 1970 et les acryliques à feu et à sang des années 1980. Celles-ci  montrent des œuvres ravagées par le trop plein des pulsions.

Tout d'abord ses dessins avec les noirs et les gris ténébreux de la série des corps éventrés nous renvoient au traumatisme fœtal de l'artiste. Les jeux d'ombre et de lumière donnent une force dramatique à chaque œuvre. Même si chacune des compositions est magnifiée par la beauté d'un graphisme fin et maîtrisé et par le jeu de ces deux couleurs qui ont des rapports intimes, voire précieux, on ressent toutefois un profond malaise face à un spectacle d'une rare cruauté.

Cette atmosphère lourde, pesante et angoissante surgit  de sa propre plume en acier.

Celle-ci  fine et acérée tord la feuille comme un cri d'écorché pour stigmatiser sur le papier des corps humains mutilés, découpés en tranches, côtoyant des carcasses d'animaux  et au milieu de tout cela une femme en pleurs (voir le Manège).  Une telle mise en scène violente pour nous  signifier peut-être cette désacralisation de l'homme ?

En 1982, Trévisse abandonne définitivement la peinture à l'huile pour l'acrylique. Son choix pour ce pigment est révélateur de son besoin de transcrire ce cri de violence sur la toile. Il le dit lui-même dans ses notes personnelles de l'époque:

"…La violence qui se manifeste est à peine contenue. Elle vient des profondeurs, c'est une peinture de chair et de sang. C'est un cri qui devient clameur ou qui s'étrangle.

La transcription de ce cri sur la toile est soit primitive, soit sophistiquée. Elle souligne la permanence des obsessions de l'individu et de révolte…Artaud mort au pied de son lit s'embrasa comme une torche et dans son ascension fulgurante creva le plafond, transperça le soleil et explosa sur le front de Dieu … les poètes sont aux racines  de l'œuvre (Artaud, Michaux, Ferré pour ne citer que trois). "

C'est dans la massivité et la violence des touches que l'on découvre la série des toiles intitulées "les figures tétanisées". L'érotisme s'y fait turbulent; la brutalité des formes accentuée par la technique du pinceau tout en rudesse conduit à donner à la composition un caractère primitif voire sauvage et ce grâce à des couleurs fortes qui hurlent. La matière picturale se fait alors violemment pathétique.

Même si JLT renoncera par la suite à cette période de grande agressivité, il en demeurera toujours quelque chose dans son œuvre. Ainsi  les enchevêtrements complexes restent sa marque, sa signature dans ses toiles futures de l'époque parisienne et même au-delà dans ses derniers lavis et dessins. Une situation toujours tendue et conflictuelle favorisée par le jeu de ces équilibres précaires et improbables. A l’exemple de ses différents lavis de 1980 où   des formes et des masses  se côtoient et s'entrechoquent  sans jamais fusionner réellement...

En subordonnant de plus en plus le dessin à la couleur, JLT semble se livrer lui-même au chaos des sensations, chaos qui, faisant chavirer les choses, laisse parfois découvrir des mondes nouveaux grâce à ce magma de formes ressemblant étrangement à de la lave en fusion sortie d'un volcan en éruption. (cf. les toiles acryliques de l'époque parisienne en 1990).

Le peintre se bat dans un corps à corps avec la toile et agresse sur tous les fronts: dessin, couleur, forme, par des fractures… Sans doute veut-il faire hurler son époque: une peinture sauvage au service d'une nature sauvage.

Ce  peinture peut être classé parmi les peintres destructeurs, comme le fut jadis le turbulent Caravage et plus récemment Cézanne et Van Gogh. Pourtant sa violence destructrice  n'est que le premier et nécessaire versant de sa peinture dont le second se voue à instaurer un monde qui se tient debout.

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