1991-1998

 


VI) Le retour en Lorraine: 1991-1998


 

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Trévisse dans son atelier

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lavis à la plume 1998(39x29cm)
 

Il plonge dans l'infiniment petit dans un souci hallucinant du détail. Ce maillage fin et raffiné donne l'impression d'un travail d'orfèvre: tout est travaillé avec minutie et précision 

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lavis la plume 1998 (39x29cm)

Cette superposition de mondes conduit à avancer progressivement dans l'intimité même de l'artiste. La dernière feuille au milieu dévoile par des lignes fines qui circulent librement des formes éparses avec un fond blanc.

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Trévisse chez Mickeythérapie 1998  

Jean-Louis Trévisse réalise son dernier tableau sur le thème de l’humour en collant sur du contreplaqué différents tubes de couleurs bleu et rouge qui ont servi à son traitement de chimiothérapie.

On découvre en haut à gauche du tableau, en guise d’épitaphe, le titre de l’œuvre : «  Trévisse chez Mickeythérapie » et à l’opposé, à droite, le personnage de Donald Duck qui tient un clap utilisé comme au cinéma pour signaler le début de chaque scène d’un film avec l’année 1998 et des chiffres qui défilent 1, 2, 3 ,0…

 

Dans la partie centrale de l’œuvre, l’artiste a subtilement intégré en alternance parmi ces objets médicaux de petites compositions peintes avec des formes très structurées et complexes où apparaissent furtivement des slogans et personnages tirés des bandes dessinées. Et aussi de façon anecdotique il est fait référence à l’actualité du moment (Coupe du monde de football de 1998) avec un ballon de football, deux jambes d’un joueur au sol et deux autres en l’air avec l’inscription But !

 

La petite composition figurant en bas à droite révèle un drôle de personnage qui ne tient plus apparemment l’équilibre ; il dispose de plusieurs jambes, les unes au sol et les autres en l’air ? Une inscription légende la partie inférieure de l’oeuvre : Rixe chez les Baxters ! Enfin le bord du tableau est effrangé à droite et partiellement en bas par les différents éléments d’une perfusion.

 

Ce tableau dépasse le domaine traditionnel de la peinture et se situe dans la ligne de l’art populaire dit Pop Art.

 

Mais c’est d’abord Marcel Duchamp la première référence de cette toile avec son ready-made, « l’objet d’anti-art » inventé par lui au début de 1914. Ce peintre voulait trouver par des objets déconcertants la réalité, la poésie et l’humour en dehors du domaine habituel de l’art.

 

Trévisse a trouvé cette réalité auprès d’objets lui rappelant sa propre réalité, sa condition d’homme frappé par le mal qui le ronge. Or à l’opposé de ces peintres du « ready-made » qui comme Man Ray avaient songé un moment à tuer la plastique pour faire découvrir une nouvelle virginité, Trévisse lui au contraire tue symboliquement, par les objets qu’il montre, l’image de sa condition (il avait arrêté de sa propre initiative le traitement chimio en cours) mais non la plastique.

 

Mais sa façon d’exorciser la maladie en collant sur le tableau ces matériels médicaux prend une autre dimension grâce à l’utilisation de la bande dessinée. Donald Duck avec le clap, la tête de Mickey apparaissant dans certains tubes et le titre même de l’œuvre (« Trévisse chez Mickeythérapie ») sont autant d’éléments qui permettent au peintre de tourner en dérision son état physique et peut être aussi la société.

 

A la manière d’un Roy Lichtenstein (peintre du Pop Art) qui utilisait également un Donald Duck ou un Mickey dans ses œuvres, Trévisse transpose comme lui les signes de son temps même les plus triviaux avec lesquels il s’identifie avec un sentiment ambivalent d’attrait et de rejet.

 

Très sensible aux évolutions de son époque, Trévisse ne rejette pas cette forme artistique et d’ailleurs son attrait pour l’œuvre de Christo est révélateur de sa perméabilité aux expressions les plus libres car son œuvre exprime toujours un concept artistique extrêmement ouvert.

 

Ce qui le passionnait chez Christo, l’artiste de l’emballage, c’est sa façon de voiler les choses connues (objets, architectures ou paysages du quotidien) pour faire de l’inconnu conduisant à l’extrapolation et à la redécouverte.

 

Le Pop Art lui permet par l’écriture d’un slogan souriant emprunté des publicités et de la bande dessinée de montrer en réalité la manipulation des choses et des êtres. Il est lui-même manipulé par la maladie comme la société l’est par les mass média ! L’élément de séduction de ces imageries devient un élément d’étrangeté dans son tableau, l’apparente euphorie prend un caractère étrange, mélancolique voire dramatique.

 

Trévisse vit à l’image de cette société comme le dit fort cruellement Dereck Boshier (peintre anglais du Pop Art) dans un « système pour les rats » et peut également faire sien ce constat amer de Andy Warhol : « Je reconnus que ce que je faisais avait quelque chose à voir avec la mort » ?

 

D’où l’impression d’un labyrinthe que nous montre l’architecture de son œuvre ?

 

Cependant en disposant à intervalle régulier des objets et des compositions peintes, le peintre veut signifier certes son enfermement mais toujours son vrai amour pour la plastique, l’harmonie, la matière et les formes poétiques.

 

De fait ce labyrinthe est comparable également à un chemin de croix où à chaque station les objets tubes viennent nous rappeler sa souffrance et son combat (Rixe chez les Baxters) et les œuvres radieuses, son espoir de transcender le tragique par la beauté.

 

Une œuvre testament où la charge émotionnelle est grande mais où le mystère reste entier malgré nos interprétations, une composition poignante et magistrale qui force à l’admiration par son pouvoir envoûtant.

 

Elle ne s’enferme pas sur elle-même malgré ce labyrinthe qui se construit de l’intérieur, mais ouvre de nouvelles portes à l’espace infini de la beauté créative.

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