PIERRE-LOUP AUGER
Pierre-Loup Auger et l’ « inénarrable musique antique »
Aborder l’œuvre graphique de Pierre-Loup Auger (P.L.A.) conduit à découvrir un espace proprement chaotique, étrange, voire fantomatique, empli par de mystérieuses narrations.
Les êtres que l’on découvre anthropomorphes et zoomorphes semblent tout droit surgir de notre imaginaire collectif.
P.L.A. envoûte en dévoilant aux apparences l’insondable, l’insoupçonné voire l’insoutenable.
Ressemblant à une cohorte de visages de l’effroi… Certaines gueules qu’il trace au marqueur noir avec leur énorme denture ont l’air de fracasser le néant de cette « inénarrable musique antique » dont parlait Antonin Artaud. Avec en prime la sonorité brutale de cette déflagration du tonnerre qui révèle la « nature nue » ?
Pourtant cette nature dévoilée, du moins pour certaines figures emblématiques, semble davantage inspirée d’un conte de fées. A l’image de ces animaux qui prennent des postures ou des attitudes humaines comme le singe avec sa couronne, le chat noir ou le lapin blanc.
Mais à côté de ces êtres sympathiques apparaissent aussi d’autres « individus » nettement plus étranges, certains fascinants mais la plupart très inquiétants.
Ainsi on découvre pêle-mêle des anges, Dieu lui-même sous la forme d’un vieillard barbu, les Moires de la mythologie mais aussi le diable lui-même, des créatures cornues, des têtes squelettiques ou la Mort avec sa faucille… ! A l’évidence, il ne s’agit plus de personnages de contes de fées mais bien davantage de ceux issus de certaines lectures ou de films d’horreur (Seven, Shining…). L’artiste lui-même concède bien volontiers que son inspiration, il la trouve « que ce soit dans l’art ou à la télé, en cours ou dans la rue. »
C’est pourquoi d’une manière générale le langage graphique de P.L.A. se réfère à des mythes récents également utilisées par d’autres créateurs contemporains.
Je pense notamment à A.R. Penck qui avait opéré dans son art une tentative de symbiose entre le rationnel et l’irrationnel, la logique et l’imaginaire.
D’autres artistes prestigieux ont suivi les mêmes cheminements tels K.Haring et J.M.Basquiat de l’art graffiti ou plus proche de nous Combas de la Figuration Libre.
D’aucuns pourraient reprocher une trop grande résignation aux mythes modernes provenant de la B.D., de la science-fiction ou des jeux vidéo. A cet égard Marie-Luise Syring parlait même d’une entreprise d’enjolivement de ces mêmes mythes par les représentants de la Figuration Libre.
Mais la particularité de tout vrai créateur c’est d’élaborer un parcours qui lui appartient en propre malgré les apports successifs des uns et des autres.
C’est le cas notamment de P.L.A., qui malgré son jeune âge (il est né en 1992 !), a créé des figures iconiques et un langage qui lui sont propres.
Son œuvre déjà abondante pour un jeune artiste est marquée du sceau de l’authenticité : une réalité graphique vivante, vibrante régie par ses propres lois.
Ses dessins sont vrais au même titre qu’il l’est lui-même dans tout ce qu’il entreprend. Sa spontanéité est impressionnante lui qui réalise ses dessins d’un seul trait, sans brouillon ni esquisses préalables.
Une ouverture sans dogmatismes, car il trouve ses inspirations là où il vit : « Je m’inspire de ce qui m’entoure, de ce que j’ai en tête, de ce que je vis… ».
Sa jeune expérience nourrit déjà son œuvre de ses fantasmagories mi clownesques, mi surréelles.
Derrière un univers qui peut paraître convenu se dessine en réalité une véritable contestation de notre monde. Dans ses œuvres apocalyptiques, son art s’apparente à un cauchemar kafkaïen (le monde peuplé de monstres).
Son travail n’est pas un travail « fun rock » ni celui d’une résignation face aux lois du système.
Il vient en contrepoint de l’ennui « baudelairien » de notre temps, l’ennui mortel de notre vie contemporaine (métro-boulot-dodo).
C’est pourquoi en creux son œuvre refuse tout cliché.
Mais il reste un artiste du temps présent. La fluidité et l’assurance de son trait laissent entrevoir le plaisir qu’il ressent en maniant son feutre ou son marqueur.
Art du mouvement, du récit, de la forme au détriment peut-être de la couleur mais avec l’avantage de la vitesse du signe mis en séquence comme de la B.D.
L’esthétisme est toujours au rendez-vous dans ses œuvres. Il réussit souvent l’exploit à créer une forme hybride entre dessin et écriture, les deux se mélangeant parfois grâce à la profusion des hiéroglyphes et des pictogrammes qui parsèment son œuvre.
Tout cela conduit à un discours d’une étonnante efficacité qui touche principalement le cœur des jeunes générations.
Et plus encore Derrida parlant de l’œuvre d’Artaud (ses dessins) entend celle-ci toujours comme : « affaire de sonorité, de timbre, d’intonation, de tonnerre et de détonation, de rythme, de vibration, l’extrême tension d’une polyphonie. »
Ici aussi le leitmotiv de l’ « inénarrable musique antique » se fait entendre pour déchirer le voile d’une naissance et révéler « la nature nue ».
C’est en définitive le thème de cette révélation qui permet à toute œuvre d’être Oeuvre et à tout être d’être Etre, grâce à ce phénomène de la transcendance musicale.
Metz, le 1 avril 2012
Christian Schmitt
"SUNSHINE" PIERRE-LOUP AUGER SOLO SHOW / GALERIE INTUITI PARIS
26 AVRIL - 19 MAI 2012 / GALERIE INTUITI : 16, rue des Coutures St Gervais Paris 3
1/ Vernissage public jeudi 26 avril > GALERIE INTUITI PARIS
2/ Happening vip vendredi 4 mai > HOTEL MURANO PARIS